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23/03/2007

Darfour : toujours à l'ordre du jour

Il y a exactement deux ans, j'étais au Darfour

Voici un extrait de mon rapport de mission :

 

Ouest : bientôt la paix ?: le nettoyage ethnique est en bonne voie

 

 

Nous avons été soumis pendant toute la mission à une intense propagande.

 

Notre programme, entièrement préparé par les autorités soudanaises, devait, comme nous l'a dit le ministre des affaires étrangères,  nous permettre de voir "les réalités", ne correspondant pas à ce que disent les médias qui mentent. "Comme pour les armes de destruction massive en Irak", nous a dit un des ministres...

 

 

La thèse gouvernementale,  qui nous  a été rabâchée "ad nauseum" est simple : les conflits tribaux, liés à l'eau et au nomadisme,   sont séculaires au Darfour.

 

 

S'il est vrai que la polarisation ethnique s'est exacerbée et que la multiplication des armes en circulation a multiplié le nombre des victimes, cette explication passe sous silence les constatations de la commission de vérification du cessez-le-feu, et des ONGs : 80% des tribus chassées de leurs villages, et qui se trouvent aujourd'hui dans les camps de déplacés,  sont d'origine non arabe ! Et ce sont,  soit les milices armées par le gouvernement, les "people defense forces", soit les milices tribales, de tribus arabes favorables au gouvernement qui les ont agressées et fait partir.

 

Cela n'a jamais été dit dans les réunions officielles, en présence des autorités soudanaises, mais les bouches ne demandaient qu'à s'ouvrir pour parler aux oreilles attentives...

 

Ainsi le général français, vice-président de la commission internationale de contrôle, représentant l'Union européenne, et qui ne veut pas être accusé de complicité de nettoyage ethnique, garde précieusement le double de toutes les preuves de ce "nettoyage" et de ses rapports hebdomadaires envoyés à "Bruxelles", et avoue organiser des "fuites" vers la presse.

 

La partie publique de ces rapports est suffisamment explicite pour qui se donne la peine de les lire.

 

 

 

 

 

Les forces de l'Union africaine observent le respect du cessez-le-feu.

 

Pour elles, ce conflit n'est pas un succession de conflits tribaux mais bien une lutte entre une rébellion armée et des forces gouvernementales, "régulières" ou non.

 

Un général rwandais nous a montré des photos d'atrocités. A la question : "qui est coupable ?" il a répondu :"tout est dans nos rapports".

 

Un colonel sénégalais nous a expliqué les techniques pour faire fuir les villageois. Pour lui aussi, il n'y a pas de doute sur les coupables. En tête à tête, il confirme le "nettoyage ethnique".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'opération, qui coûte 300 millions d'euros par an,   est financée à 70% par l'Union européenne.

 

Les ONGs reconnaissent une amélioration de la situation là où l'Union africaine est présente, mais refusent de faire escorter leurs convois de nourriture par des soldats, fussent-ils neutres, malgré les attaques quotidiennes, d'éléments qui ne sont pas toujours identifiables (rebelles, bandits de grands chemins...ou membres de milices gouvernementales)

 

 

Selon les gouvernement, mais aussi le SPLM, il ne faut surtout pas que la justice internationale s'en mêle car les Africains ont des mécanismes traditionnels de réconciliation, une autre approche culturelle de la justice ; par contre la communauté internationale peut contribuer à apporter des compensations à ceux qui ont perdu leurs maisons et leurs troupeaux.

 

Bien entendu, toute pression sur le gouvernement  est un mauvais message, qui encourage les rebelles  à continuer leurs actes terroristes...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les membres du gouvernement que nous avons rencontrés ont insisté sur le libre accès au Darfour pour la communauté internationale et les humanitaires, mais pas pour les ONGs qui "font de la politique".

 

OXFAM est directement menacé d'expulsion, "save the children" est parti, mais toutes les ONGs, qui peuvent témoigner de ce qui se passe,  se sentent tenues au silence,  sous la pression gouvernementale.

 

Beaucoup d'entre elles considèrent que seules les pressions internationales sur le gouvernement ont permis des avancées.

 

Elles m'ont parlé assez librement, en marge des réunions officielles, loin des oreilles gouvernementales.

 

 

 

 

Il y a au Darfour 10.000 travailleurs humanitaires locaux, encadrés par environ 700 européens, qui louent effectivement très chers, à des bailleurs qui en profitent, les locaux dont ils ont besoin.

 

En raison de la taille du pays et du manque d'infrastructures le coût de la logistique  y est trois fois supérieur au prix de la nourriture elle même.

 

 

La sécurité dans les camps, y compris la sécurité alimentaire et sanitaire est bonne. Probablement la meilleure du Darfour, peut-être du pays.

 

Il est même étonnant que la criminalité ne soit pas plus importante quand des dizaines de milliers de personnes sont ainsi rassemblées.

 

Les familles y sont prises en charge : eau, nourriture, soins, écoles primaires, rien qui incite à affronter les incertitudes, la violence et la faim qui guettent à proximité immédiate des camps.

 

Sur une population de 5 à 6 millions, combien vivent dans les camps ? au moins un million et demi ! combien dans les mois à venir ? plusieurs centaines de milliers de plus, chassés par la famine causée par l'absence de récolte !

 

Les réserves alimentaires sont épuisées. Le Programme alimentaire mondial ne peut acheminer à destination que la moitié des besoins. 

Il sera vain de chercher à déterminer qui est là pour fuir la violence, et qui est là pour fuir la faim : les causes et les effets se cumulent, et il faudra construire de nouveaux camps, trouver de l'eau et du fourrage pour le bétail.

 

 

Le retour à la vie normale est affiché comme un but gouvernemental, mais il suppose : sécurité, déminage, compensation pour les pertes subies, semences, outils, nourriture pour attendre la récolte suivante.

 

Il est évident qu'il est plus facile pour les organisations humanitaires de "servir" des populations regroupées dans des camps que dans des villages dispersés, malgré le risque constant d'épidémie qu'implique une telle concentration de population.

 

Les intéressés ne s'y trompent pas : ils cuisent des briques pour bâtir leurs nouvelles demeures, et même, ils plantent...ce qui en dit long sur leur volonté de départ !

 

Si un jour ils quittent les camps, il faudra voir s'ils peuvent retrouver leurs villages...ou si ceux-ci sont occupés par d'autres tribus !

 

C'est alors que l'on pourra constater le "nettoyage ethnique".

 

 

 

18:55 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)

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