19/07/2015
Mémoires d'Arméniens
Le fantôme arménien
Reportage de Laure Marchand, Guillaume Perrier, Thomas Azuelos
Dessin et couleur de Thomas Azuélos
éditions Futuropolis
Il y a un siècle, plus de deux millions d'Arméniens vivaient dans les provinces de l'est de l'empire ottoman. La fin du XIXe siècle avait marqué l'intensification des persécutions et le début de massacres de masse. Pendant la première guerre mondiale, le gouvernement nationaliste "Jeune Turc" s'en est pris aux minorités, donc aux Arméniens.
En 1915, il y a donc un siècle, les Arméniens, à commencer par les notables, sont "jetés sur les routes, massacrés ou contraints à marcher jusqu'aux déserts de Mésopotamie, véritables mouroirs à ciel ouvert. Leurs biens sont systématiquement confisqués." "Mort progressive par épuisement, maladie puis liquidation par des escadrons de la mort lors de la longue marche en direction du désert syrien. Très peu y parviendront." "Le massacre est systématique". N'est-ce pas ce que l'on appelle un génocide ?
Le berceau historique des Arméniens est vidé de sa population. "Plus de la moitié est exterminée (entre un million et un million et demi) . La majorité des survivants est contrainte à l'exil." "Sans retour possible était inscrit sur leur passeport ottoman à leur départ. Ceux qui sont restés "se sont convertis pour survivre et ont vécu cachés, occultant leur culture, leur langue." "En Turquie, il fallait s'assimiler ou mourir." Leurs petits-enfants refont surface aujourd'hui.Mais leur agitation politique ne fait pas l'unanimité "dans une communauté pour qui le silence a toujours été la meilleure protection." "Abandonnées, les églises ont été livrées aux pillards. Il n'y a plus que des ruines."
Un photographe français, d'origine arménienne, a organisé, avec l'aide d'autorités locales, une exposition avec les photos d'identité de 99 de ces survivants, prise quand ils ont débarqué à Marseille, où l'accueil fut parfois rude ("Arménien, tête de chien, mange ta soupe et dis plus rien"). "Les photos étaient épinglées au niveau du coeur."
Ses compagnons de voyage ont longtemps hésité avant de se décider à se rendre sur la terre de leurs ancêtres , dans la Turquie de bourreaux.
"En 1915 les Kurdes ont collaboré avec les autorités ottomanes. Certaines tribus ont été le bras armé des génocidaires dans les régions où les peuples arménien et kurde vivaient côte à côte." "Les kurdes prennent peu à peu conscience de ce qu'ils ont fait aux Arméniens. Dans une région où les descendants des bourreaux et des victimes vivent ensemble, dans des villages où les familles sont liées, où tout le monde se connaît, les histoires de sauvetage sont nécessaires." Comme pour les Juifs, il y a eu des "Justes" qui ont sauvé des Arméniens du massacre. Les fonctionnaires dissidents furent tués.
Un très bel album, très émouvant , même pour qui n'a pas d'ascendant arménien.
16:11 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bd, arménie
12/07/2015
Les carnets de Joann Sfar
Si Dieu existe
Joann Sfar
éditions Delcourt, collection Shampooing
"Si Dieu existe, il ne tue pas pour un dessin".
Joann Sfar ("le chat du rabbin" ; Gainsbourg en film ; actuellement dessinateur au Huffington Post) nous livre ses derniers carnets qui commencent par les carnages du 11 janvier de ses amis dessinateurs à Charlie.
Il y est beaucoup question de sa maman, décédée quand il avait quatre ans, de son papa, décédé peu de temps avant le 11 janvier, et des femmes. Avec des interrogations dignes de sa maîtrise de philosophie.
"Ils croyaient s'en prendre à des dessinateurs, ils ont aussi tiré sur l'islam". "Si des voix musulmanes s'élèvent pour apaiser l'islam, elles devront venir du Golfe, et disposer de beaucoup de pétrodollars." "Tant que le Prophète sera plus important que les hommes, on ne pourra rien construire."
"Aucun extrémiste juif n'a tué personne en France." "Ils étaient sur le sol français avant que la France existe, avant même qu'elle soit chrétienne." "Ethniquement, Israël, c'est le Brésil."
"Le Christ, pour aimer son prochain, il serre vachement les poings."
"Personne n'est obligé de croire en Dieu, ou de croire que Dieu est sacré." "Aucun Dieu ne pardonne celui qui abîme une tombe." "Je déteste que là où nous sommes, Jean-Paul Sartre ait raison : aujourd'hui, c'est bien l'antisémite qui fait le Juif."
"Sans les livres, on est plus humain"
"Si le questionnement s'arrête, nous mourrons en tant que civilisation." "Le futur n'est pas écrit. S'il est pourri, ça sera de notre faute." "Comment faire pour y croire encore ?"
"Tu ne dois pas laisser s'éloigner les enchantements du monde."
12:07 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bd
06/07/2015
Une année dans les coulisses de l'Elysée
Le château
Mathieu Sapin
éditions Dargaud
Mathieu Sapin a raconté la campagne électorale de François Hollande en BD ("Campagne présidentielle"). J'en ai parlé sur ce blog. Il a demandé aux collaborateurs du Président de la République, connus lors de la campagne, l'autorisation de suivre pendant un an les évènements de l'intérieur de l'Elysée, le "château". Même un peu plus, puisqu'il a pu suivre quelques voyages présidentiels, y compris, brièvement dans l'avion du Président. Ce qui n'est pas sans rappeler le livre de Jean-Marie Cambacérès. Là aussi il y a un certain nombre d'anecdotes qui allège le côté didactique.
L'intendance, la sécurité, les conférence de presse, les visites de chefs d'Etats étrangers, ou de personnalités, les prises de parole à répétition du Président, et surtout le fonctionnement de la machine, côté "communication" plus que "politique" (on ne voit pas se prendre les décisions).
L'album devait se terminer avec la Coupe du monde de foot : match d'ouverture suivi, au Palais, avec le Président et les médaillés handisports. Quelques pages ont été rajoutées à l'occasion des assassinats de Charlie et de l'hyper casher, vécus par mathieu Sapin à l'Elysée.
Vers la fin du livre l'auteur laisse paraître son sentiment : "François Hollande est quand même un homme d'Etat honnête et sympathique."
17:57 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bd
26/06/2015
L'arabe du futur 2
Une jeunesse au Moyen-Orient
1984-1985
Riad Sattouf
éditions Allary
Un an après le succès mérité du tome 1, voici la suite des aventures d'un bambin Syrien par son père, Breton par sa mère.
Rappel : le père de l'auteur, élève brillant, a obtenu une bourse pour étudier à la Sorbonne, y a rencontré une belle blonde, s'est marié avec elle. Ils ont eu un petit garçon blond comme sa mère. Le père a obtenu un poste d'enseignant en Libye, puis dans son pays, la Syrie.
Dans le tome 2 comme dans le premier, les vacances en Bretagne, chez les grands-parents, sont l'occasion d'un choc de civilisations.
A part ce chapitre en Bretagne, toute l'action se passe en Syrie, dans un village a côté d'Homs (malheureusement nous avons beaucoup entendu le nom de cette ville martyr...). Riad va à l'école du village. Il y découvre l'uniforme, les chants patriotiques, la lecture du Coran dont, comme ses camarades, il ne comprend pas un mot... et les coups de règle sur les doigts. Il apprend tout ce qui est "haram" : "interdit par le sacré".
Il apprend l'arabe à l'école, et le français à la maison, avec sa maman.
Comme il est différent, il est accusé par certains d'être Juif, et attaqué pour cela.
En dehors de l'école, il découvre les inégalités sociales avec les relations importantes que son père doit entretenir . Les "élections" sont remportées à 100% par Hafez al-Assad, le père de l'actuel dictateur.
Comme dans le premier tome, sa mère grince des dents chaque fois qu'il est question de la place de la femme dans la société. Surtout quand les traditions poussent au "crime d'honneur".
Ls biens d'importation sont taxés jusqu'à 600%. L'essentiel de l'équipement de la maison passe donc par la contrebande .
Quelques jours de vacances à Palmyre permettent de nous parler de cet important vestige de l'antiquité.
16:02 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bd, moyen-orient
18/06/2015
la galère d'une préparation de thèse
Carnets de thèse
Tiphaine Rivière
éditions du Seuil
Jeanne, professeur de collège dans une ZEP est acceptée comme "doctorante". Elle va donc préparer une thèse. Sur "Le motif labyrinthique dans la parabole des portes de la Loi dans Le Procès, de Kafka". Pour cela elle se met en disponibilité de l'Education nationale. Mais il faut bien vivre. Elle donne des cours à l'université, peu payés, payés avec retard, ou même pas payés du tout. Mais qui demandent des heures de préparation ! Ou des travaux de secrétariat dissimulés sous des appellations pompeuses.
Quelques années, et plus de 3000 ouvrages critiques plus tard, le moment de la rédaction est le plus délicat. "Elle refichait tout ce qu'elle avait déjà lu à chaque fois qu'elle essayait de commencer à rédiger." Puis arrive le moment où l'auteur a tellement relu qu'il ne veut plus voir son texte "même relire ce que j'ai écrit me donne envie de vomir."
La famille est sceptique, et admire le cousin qui prépare une thèse scientifique.
La vie devient vite insupportable pour le compagnon. La thèse est l'obsession. En dehors des heures de travail alimentaire, pas question de sortir avec les copains, de se divertir. "Elle a un énorme tas sur son bureau avec marqué : papiers administratifs.Elle n'ouvre jamais son courrier."
On sent le vécu, et c'est drôle, plein de moments qui font sourire. La "science" littéraire a peut-être perdu un fleuron, mais la BD a gagné une auteur de talent.
En littérature, 60% des doctorants abandonnent leur thèse. On comprend pourquoi !
Son directeur de thèse, qui n'a aucune envie de lire les centaines de pages des ses "thésards", pour se débarrasser d'elle, lui prescrit de lire tout Schopenhauer : "La vie oscille comme un pendule, de la souffrance à l'ennui. La condition de l'homme consiste à désirer douloureusement tout ce qui lui fait défaut. La vie humaine consiste à aller sans cesse du désir, qui est manque, à l'ennui de la satiété."
"En cherchant des réponses à une question, les types continuent à se demander si la question qu'ils posent est pertinente..."
11:38 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bd, littérature