21/04/2012
Souvenirs de la guerre d'Algérie
La part du mort
Les enquêtes du commissaire Lob ; Le quatuor algérien
Yasmina Khadra
Folio policier n°510
De Yasmina Khadra, écrivain sous pseudonyme, j'ai déjà parlé dans ce blog des "Sirènes de Bagdad".
Ce roman, policier, est d'un style très différent. Une verve qui rappelle San Antonio, même si le commissaire Lob revendique sa bedaine et sa fidélité conjugale.
"Je range ma bagnole au coin d'une venelle constipée, à peine assez large pour laisser passer l'air du temps".
A ne pas manquer, si vous ne connaissez pas.
Comme dans ses autres romans du "quatuor algérien", l'histoire est l'occasion de parler, avec sévérité, de la situation algérienne. Avec, dans celui-ci, un rappel de la guerre d'indépendance, des atrocités, du sort des Harkis...
"Un pays dominé par des mégalomanes et des rentiers boulimiques"
"Chez nous, l'abus n'est pas une dérive, c'est une culture, une vocation, une ambition"
"L'élite du sérail veillait scrupuleusement à maintenir le QI des Algériens à hauteur de celui de leurs responsables, c'est à dire aux alentours des braguettes"..
Quatrième d'une série de romans policiers se déroulant à Alger. Le plus abouti également. Les trois autres se limitaient à 150 pages. "La part du mort", six ans plus tard, en fait 450.
"Je me surprends à en vouloir à ce décalage social qui veut que, chez nous, aucun infortuné ne puisse toucher du bout du doigt un simulacre de bonheur sans se faire électrocuter."
"Ce n'est pas un pays que nous servons, mais des hommes. Nous dépendons de leurs sautes d'humeur et nous nous conformons à leur bon vouloir"
"Tu sais très bien comment c'est dans les républiques avortées. Un jour, tu es encensé, un autre tu es enfumé"
"A la colère populaire qui réclamait du travail et un minimum de décence, le gouvernement offrira le multipartisme et une démocratie sulfureuse qui favoriseront l'avènement de l'intégrisme islamiste, créant ainsi les conditions idéales pour le déclenchement de l'une des plus effroyables guerres civiles que le bassin méditerranéen ait connues".
"Les bonnes volontés s'émiettent contre les remparts des appétits forcenés, le renoncement commence à s'ancrer chez les militants, et les diplômés de la dernière heure réclament à cor et à cri une part du gâteau qu'ils ne sont pas près d'entrevoir un jour. Un de ces quatre, sans crier gare, la poudrière va surprendre les plus avertis. La déconfiture s'annonce grandiose, et les dégâts irréversibles."
"Qui ne respecte pas la vie des autres n'a rien compris à la sienne"
"On peut redresser le tort quelquefois, jamais les esprits tordus"
"Il n'y a pas mieux que le rire d'une femme pour vous remettre d'aplomb"
"Fille de bonne famille, donc prédisposée au statut de bête de somme, ce qui constituait, dans une société traditionnellement esclavagiste, un investissement probant"
"Elle trouve humiliant pour une femme de se faire passer toutes les nuit pour une chaussette afin que monsieur daigne y prendre son pied."
"Les mauvaises langues racontent que lorsque Mohand porte la main sur la foufoune à Monique, c'est juste pour y tremper le doigt afin de tourner les pages de son bouquin".
"Déjà au lycée, tous les jours à la sortie des classes, il y avait un jeune zazou qui m'attendait sur le trottoir d'en face. Il m'emboîtait le pas et me contait fleurette jusqu'aux portes de mon quartier"
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
15/04/2012
1934
Le complot de l'ordre noir
Philippe Pivion
Editions du "Cherche Midi"
1934 : 6 février, Paris : des manifestations factieuses s'en prennent à l'Assemblée nationale. Le gouvernement tombe. Louis Barthou devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement dirigé par Gaston Doumergue.
9 octobre, Marseille : Le roi de Yougoslavie, Alexandre, et Louis Barthou, ministre français des affaires étrangères sont assassinés.
Sous prétexte d'une enquête policière, ce roman nous fait vivre l'année de la montée de tous les périls : 1934.
Année également du début de la convergence qui conduira au "Front populaire", avec la grande manifestation du 12 février, pendant laquelle "l'amalgame des cortèges fut complet".
A travers les aventures de son secrétaire particulier, nous suivons Louis Barthou dans sa tentative diplomatique d'isolement de l'Allemagne nazie, quitte à passer un accord avec l'URSS communiste, quitte à négocier avec l'Italie fasciste, afin d'éviter un axe Berlin / Rome. "Edifier un cordon politique et militaire autour de ce fou furieux de Hitler".
Barthou considérait que "c'est le principe de réalité, qu'il faut aboutir avec l'Union soviétique. Si nous ne le faisons pas, c'est l'Allemagne qui le fera". "Sensible aux rapports de force et à la réalité, il pensait qu'une politique européenne ne pouvait exister sans l'Union soviétique".
Son allié dans cette stratégie, Albert 1er, roi des Belges, meurt dans un accident jamais élucidé.
Barthou avait pris une ferme résolution : "il ne cèderait pas aux sirènes du désarmement pour ne pas obérer l'avenir". "Il maudissait la faiblesse des autres hommes politiques qui, au nom de la stratégie d'apaisement, laissait filer la politique allemande de réarmement et de liquidation du Traité de Versailles".
Mais l'Angleterre préfère négocier avec Hitler. "Le Foreign Office souhaitait négocier directement avec l'Allemagne plutôt que d'entrer dans une logique d'encerclement".
L'extrême droite française également.
Quand Barthou est assassiné, il est remplacé au Quai d'Orsay par Pierre Laval, déjà suppôt de l'Allemagne nazie.
L'ouverture des archives, en 1974, permet de savoir que la balle qui a tué Barthou venait d'une arme de la police française. D'où la théorie du complot de "l'ordre noir", la "Cagoule", ces militants d'extrême droite qui, tirant les leçons de l'échec de la manifestation insurrectionnelle du 6 février, voulaient passer à l'action clandestine armée, avec l'aide de voyous à leur solde. "Les liaisons entre la pègre, les milieux affairistes et délictueux, les droites nationales à sympathie fasciste sont en place".
En 1945, les troupes françaises trouveront en Allemagne des documents du ministère français des Affaires étrangères "qui n'ont pu parvenir à l'époque que grâce à plusieurs taupes bien infiltrées". L'hypothèse du romancier est que ces taupes étaient à la solde des nazis via l'extrême droite française.
Alexandre de Yougoslavie a été tué par des "Oustachis" croates, payés par l'Allemagne hitlérienne, et qui se révèleront pendant la guerre d'indéfectibles soutiens des nazis.
Pour Philippe Pivion, Louis Barthou n'était certainement pas une victime collatérale, mais bien un objectif spécifique.
"Quand un morceau de l'humanité est rejeté, est stipendié, c'est toute l'humanité qui est menacée et injuriée. Le droit ne se divise pas, il est un, et lorsqu'il régresse pour une catégorie d'êtres humains, sous quelques prétextes que ce soit, philosophiques, religieux, politiques ou autres, alors le droit de tous recule. Il ne peut y avoir de progrès pour une partie du monde, sans que tous en bénéficient".
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
14/04/2012
Libye : rien n'est réglé
Les fous de Benghazi
Gérard De Villiers
SAS n° 191
Déception. Non pas que SAS, à l'image de DSK ait soudain fait vœu de chasteté, mais ces livres, au delà de leurs défauts, ont généralement la qualité d'une bonne analyse de la situation géopolitique des pays dans lesquels l'action se déroule. Du moins les informations fournies recoupent celles que je peux avoir par ailleurs.
Dans ce livre consacré à la lutte suivant le soulèvement démocratique en Libye, il y a des points incontestables :
"Les armes des soldats kadhafistes sont dans la nature. Beaucoup ont été pillées par la population, d'autres sont parties vers le sud, le Niger et le Mali, pour renforcer les katibas de l'AQMI." Les évènements du Mali en ont apporté la preuve.
"Parmi les opposants à Kadhafi, les seuls organisés étaient les islamistes"
Le C.N.T. ne contrôle pas la situation.
Un des enjeux essentiel est de "récupérer les milliards de $ d'avoirs libyens gelés par les Etats-Unis qui hésitent à les rendre au CNT"
D'autres sont plus discutables :
"Le général Younès, ancien ministre de la défense de Kadhafi étaient particulièrement haï par les Islamistes, en raison du rôle qu'il avait joué dans la répression contre eux". C'est exact, mais pourquoi les islamistes n'ont-ils pas attendu la chute de Kadhafi avant de supprimer Younès ?
Deux piliers du roman me laissent interrogatif :
1) Le groupe terroriste le plus actif serait une branche des "Frères musulmans".
Les "Frères" ont choisi la voie légale et politique dès la fin des années 70, ce qui a provoqué la naissance de groupes terroristes dissidents, comme le "Jihad islamique". Les terroristes islamiques considèrent les "Frères" comme des "traitres".
Les résultats électoraux en Tunisie, au Maroc et en Egypte les confortent dans cette stratégie légaliste, même si, sur ce terrain et dans ces pays, ils risquent d'être débordés par plus radicaux qu'eux.
Rien ne permet d'affirmer que les "Frères" auraient une branche terroriste.
2) Le Qatar serait le financier des terroristes libyens.
Beaucoup de choses peuvent être reprochées aux Qataris. Par exemple de vouloir obliger le PSG à quitter le "Parc des Princes". De ne pas être une démocratie occidentale, dans une région où cela n'existe pas. Tout le monde sait qu'il y a des luttes au sein de la famille régnante. Des membres de la famille pourraient être tentés de chercher à déstabiliser l'actuel chef de la tribu. De là à imaginer celui-ci en train de jouer double jeu, et de financer des groupes terroristes alors qu'il mène ouvertement une politique pro-occidentale ? Je suis plus que dubitatif.
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
07/04/2012
qui est-on sans mémoire ?
Palestine
Hubert Haddad
"Prix Renaudot Poche 2009"
"Prix des cinq continents de la francophone 2008"
Livre de poche n°31461
A proximité d'Hébron, point "chaud" de contact entre colons israéliens et Palestiniens, un jeune soldat israélien est blessé et choqué, rendu amnésique.
"Qui est-on, sans mémoire ?"
En vêtements civils, il est recueilli par deux Palestiniennes. Sans identité, il devient Palestinien, et vit la vie et les souffrances, l'humiliation et la répression, d'un peuple occupé.
Eternelle question du hasard qui nous fait naître d'un côté ou de l'autre d'une frontière. Un film récent, "Le fils de l'autre" l'évoque également.
"La violence consommée a une étrange douceur. Tout se passe dans une boucle du temps qu'aucune raison ne contrôle"
"Il faut toujours parler. Aux moribonds, aux fous, aux ânes, même aux ennemis !"
"Tu détisses chaque nuit le temps passé pour garder l'âge de ton amour"
"Cette Cisjordanie morcelée que les colons débarqués de New-York ou de Paris appellent Judée-Samarie en héritiers définitifs".
"A part le Cantique des Cantiques, il n'est jamais question d'amour dans la Bible, pareil pour le Coran..."
"Nous sommes bannis de chez nous, délogés, dépossédés, tous captifs. Partout des murs dressés, des barrages, des routes de détournement. Est-ce qu'on peut vivre comme ça, parqués dans les enclos et les cages d'une ménagerie ? Veut-on nous pousser au suicide, à la dévastation ?"
"La paix ? C'est le droit du plus fort !"
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
31/03/2012
grand prix de littérature policière
Adieu Jérusalem
Alexandra Schwartzbrod
Grand prix de littérature policière 2010
Livre de poche n°32432
Une explosion dans une usine secrète qui prépare la guerre bactériologique.
Un pèlerinage à La Mecque, moment et endroit propices à toutes les épidémies.
Le retour de la peste noire.
Les Arabes qui accusent les Juifs d'avoir empoisonné les puits de la grande mosquée, malgré les huit cent caméras de surveillance. Contre toute évidence, puisque cette bactérie ne se transmet pas par l'eau.
Le gouvernement israélien qui profite de l'agitation des arabes israéliens pour décider de leur expulsion, afin de faire d'Israël, enfin, de son point de vue, un Etat juif. "Israël est une démocratie ethnique". "Israël est d'abord l'Etat des Juifs du monde entier".
Sans parler de ceux qui veulent "la création d'un Etat juif en Judée et en Samarie. Un Etat qui bannirait les laïcs et les Arabes"
"Il y a forcément un moment où l'humiliation rend fou"
Le gouvernement américain va-t-il poursuivre son soutien inconditionnel à Israël ?
Comment vont réagir les riches Etats pétroliers arabes, détenteur de milliards de la dette souveraine américaine, et des centaines de milliards dans les entreprises stratégiques des USA et d'Europe ?
Alexandra Schwartzbrod est journaliste. Son style est vivant et accrocheur, comme celui des journalistes de talent.
Elle a été longtemps la correspondante de Libération à Jérusalem, et nous fait partager sa connaissance du dossier.
"La violence des nouveaux immigrants juifs. Pour la plupart démunis et paumés, ces hommes faisaient passer l'humiliation de leurs échecs en cognant leurs femmes, voire leurs enfants, syndrome classique."
"Depuis que les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza étaient enfermés à double tour de l'autre côté de leur mur, les autorités israéliennes s'étaient forgé un nouvel ennemi : l'Arabe de l'"intérieur".
"La communauté ultra-orthodoxe, qui constituait désormais la population la plus importante de Jérusalem, avait été mise à genoux par la politique ultralibérale menée par le derniers gouvernements. En réduisant au minimum les allocations familiales, les autorités leur avaient supprimé leur unique source de revenus."
"Les jeunes l'ennuyaient, les vieux le déprimaient. Plus personne ne le surprenait. C'était peut-être ça, la vieillesse"
"La planète a été créée par une bactérie et elle mourra par une bactérie"
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature