20/04/2015
Drames en Méditerranée
Plus de mille personnes noyées en une semaine, il y a de quoi émouvoir. Tous les journaux en parlent.
Je rapproche cet évènement tragique avec deux autres informations : les violences xénophobes en Afrique du Sud, et le résultat des élections législatives en Finlande.
L'Afrique du Sud nous rappelle que l'immense majorité des migrations se font Sud/ Sud et non Sud / Nord. Fuyant le régime très autoritaire (Zimbabwe) d'un pays qui fut un des plus riches d'Afrique, ou un des plus pauvre, le Malawi, ou un pays riche dont les habitants sont pauvres, le Nigéria, les Africains migrent d'abord vers un autre pays africain. Et pas seulement les Africains. Je me souviens avoir visité les réfugiés irakiens en Syrie. Aujourd'hui les Syriens se réfugient d'abord au Liban ou en Jordanie. Les conditions de vie dans ces camps, l'absence de perspective de paix, expliquent largement leur désir de quitter la région.
Les Africains du Sud ne sont pas plus, ni moins, xénophobes que les électeurs de Finlande, pourtant bien loin de Lampedusa, qui ont, trop largement, voté pour le parti "des vrais Finlandais", ou que les électeurs italiens de la "Ligue du Nord", sans parler du Front National...
Toute l'ambiguité des reproches faits à l'Union européenne vient de cette double mission, contradictoire : surveiller , sous entendu pour empêcher les migrants d'arriver, ou secourir ?
L'Union européenne n'a aucun mandat pour sauver des vies. Elle le fait tout de même. 1/3 des vies sauvées le sont dans le cadre de l'organisation européenne "Frontex". Pas assez ? Ou son rôle est d'être le poste avancé de la "forteresse Europe" ?
Comment ne pas noter le silence assourdissant des gouvernements des Etats membres de l'Union européenne ?
Qu'est-il possible de faire ?
- D'abord essayer d'anéantir les réseaux criminels, premiers responsables de ces tragédies. Notre Président l'a répété hier. Tout le monde en sera d'accord. Mais ces criminels ne sont pas sur le sol européen, et il ne sera donc pas facile de les supprimer. Comme pour le trafic de drogue : tant qu'il y aura une forte demande, vous pouvez démanteler une filière, une autre se mettra en place !
- Essayer d'aider les pays de départ et les pays de transit. Quelle serait la situation si François Hollande n'avait pas décidé de l'intervention de l'armée française au Mali devant l'avancée des djihadistes ? Quelle est la responsabilité de Nicolas Sarkozy dans la situation actuelle en Libye, pays d'où partent la presque totalité des embarcations incriminées ?
Les ONG humanitaires demandent une politique d'immigration européenne plus généreuse, plus ouverte. Ouvrir un peu plus changerait-il la donne ? Cela ne serait jamais assez. Depuis le début de l'année 23 000 personnes sont arrivées en Italie. Combien en Grèce et en Espagne ?
J'ai entendu citer en exemple la politique d'immigration légale du Canada. Mais celle-ci est contingentée. Le Canada fait entrer des travailleurs manuels et intellectuels qualifiés, choisis, et n'a pas de pression migratoire de milliers d'immigrés désespérés arrivant sur ses côtes.
Le premier drame me semble être l'échec complet des différentes et successives politiques d'aides au développement dont aucune n'a permis le décollage économique de pays dirigés par des élites prédatrices.
16:14 Publié dans Affaires étrangères | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : migrations, lampedusa
19/04/2015
Suite de l'épopée des Normands de Sicile
Le Hors venu
Viviane Moore
10/18 "grands détectives" n°4084
1156, Palerme. Sur le trône de Sicile, Guillaume Ier, dit "le Mauvais", fils de Roger II, premier roi, normand, de Sicile. Il est Normand, mais son allégeance au Duc de Normandie, roi d'Angleterre, n'est que théorique. Les Normands n'ont pourtant conquis la Sicile, qu'il y a moins d'un siècle. Contre les Musulmans qui l'avaient prise aux Byzantins. "La Sicile avait eu bien des maîtres : Phéniciens, Corinthiens, Romains, Ostrogoths, Grecs, Arabes...et aucun d'entre eux n'avait renoncé volontairement à ses charmes."
Carrefour de civilisations, Palerme abrite des communautés musulmanes, byzantine, juive, lombarde...et normande. Celle qui détient le pouvoir.Plus pour très longtemps, mais cela est une autre histoire !
Héritage des occupations précédentes, le harem tient une grande place.
Pendant que Guillaume fait la guerre, ou part à la chasse, l'émir gère les affaires. En joueur d'échecs, et sans hésiter à réprimer durement les opposants, réels ou supposés. Les Musulmans sont des boucs émissaires parfaits. Il y a même une secte de djihadistes !
Nous retrouvons nos deux héros, partis de Barfleur la même année. Hugues de Tarse veille toujours sur Tancrède d'Anaor, supposé être le petit-fils de Roger II. Une menace pour son oncle Guillaume ? Tancrède se sent "Hors venu" (venu d'ailleurs) bien que natif de Sicile.
Ce n'est qu'à la moitié du roman que l'émir donne l'ordre à Hugues de Tarse d'enquêter sur une série de meurtres. Il trouvera le coupable, et son mobile : la vengeance qui, chacun sait, est une très mauvaise conseillère.
16:52 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, polar, histoire
17/04/2015
L'invention des origines médiévales de l'Europe
Quand les nations refont l'histoire
Patrick J. Geary (professeur à l'université de Californie)
éditions Flammarion
Un livre salutaire à l'heure de la montée des nationalismes.
Ce spécialiste de l'histoire médiévales démontent les idéologies nées au XIXe siècle qui imprègnent les discours identitaires aujourd'hui.
A la fiction du "nous étions là les premiers", et les manipulations qui s'en suivent, l'auteur oppose une Europe médiévale sans cesse remodelée par les migrations.
"Les peuples de l'Europe sont une réalité en train de se former, un projet en cours : il faut même qu'ils gardent éternellement ce statut." "Les Francs "nés avec le baptême de Clovis" ne sont pas les Francs de Charlemagne, ni ceux du peuple français que Jean-Marie Le Pen espérait rassembler autour de son mouvement politique."
"Ceux qui n'ont pas été baptisés avec Clovis, en particulier les juifs et les musulmans, ne pourraient pas être de vrais Français ?"
"La correspondance entre les peuples du Moyen-Âge et les peuples contemporains est un mythe."
"Un certain nombre d'étiquettes ont fini par être perçues comme des désignation "ethniques". "Au Ive siècle, des bandes militaires s'approprièrent ces étiquettes." "Les noms des peuples étaient moins des moyens de décrire la réalité que des moyens d'affirmer une forme d'unité sous la conduite de chefs qui espéraient monopoliser et incarner les traditions associées à ces noms."
"Les peuples sont redevenus des unités territoriales d'organisation géographique et politique, non des groupes sociaux ou culturels."
"En 212 la citoyenneté fut étendue à presque tous les les habitants libres de l'Empire. La distinction entre citoyen et non citoyen perdit toute signification pour une différence fondée largement sur la richesse." Au début du VIIe siècle, l'opposition entre Romains et Barbares avait perdu toute signification, la citoyenneté romaine ne représentant plus rien." Au IXe siècle, les Romains sont simplement les habitants de la ville de Rome.
"Les rois victorieux projetaient le passé imaginaire de leur famille sur leur peuple en tant que collectivité, ce qui donnait à tous les membres de l'élite militaire le sentiment de partager la même origine." "Les rois barbares mirent aussi la religion au service de la création de ce sentiment d'identité". ("la conversion de Clovis facilita l'amalgame rapide entre Francs et Gallo-Romains" ; Arianisme pour les Goths). "La majorité de la population finit par adopter l'identité de la minorité au pouvoir."
"la grande force de la synthèse franque fut la création d'une société unifiée, à partir du double héritage des traditions romaines et barbares."
Ce livre est dédié à "tous ceux qui comprennent l'importance que peut avoir le passé pour le présent, et la différence qu'il y a entre les deux." "Le passé est un pays étranger dans lequel nous ne nous trouverons jamais."
21:30 Publié dans histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, nationalisme, europe
13/04/2015
En Mongolie : des hommes, et un loup
Le dernier loup
Jean-Jacques Annaud
Même s'il ne s'agit pas de la Mongolie du commissaire Yeruldelgger, de Ian Manook, mais de la Mongolie intérieure chinoise, les paysages sauvages et les conditions de survie doivent être semblables pour les nomades mongols et leurs troupeaux de moutons et de chevaux. Ces paysages sont magnifiquement rendus dans le film.
Ce récit initiatique montre l'importance de la communauté pour survivre dans une nature hostile dont le loup est le symbole, et parfois l'emblème.
Le film est tiré d'un livre, best seller en Chine, dont l'autorisation montre que les autorités laissent une certaine liberté de critiquer la période maoïste.
L'action se passe à la fin des années 60, pendant la révolution culturelle. Les "jeunes lettrés" sont envoyés à la campagne. Les spectateurs ne sauront pas si ceux-ci ont alphabétisé qui que ce soit, mais bien entendu, ils apprendront beaucoup au contact des paysans.
Ils apprendront, en particulier, les ravages de l'autoritarisme politique qui bouleverse l'équilibre écologique.
Il faut souligner le travail des dresseurs qui ont permis de filmer ces adorables louveteaux, et ces bêtes magnifiques. Pour les scènes de poursuite, des drones ont été utilisés.
Malheureusement, deux heures, c'est un peu long pour ce récit qui aurait mérité d'être par moment plus rythmé.
11:56 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma
11/04/2015
Héloïse romancée
Héloïse, ouille !
Jean Teulé
éditions Julliard
Abelard a écrit son autobiographie. Beaucoup d'historiens ont écrit sur Abelard, son rôle théologique, philosophique, et son amour pour Héloïse, avec les conséquences que tout le monde connait...et qui ont largement contribué à son passage à la postérité. "Ouille" est le cri qu'il est censé avoir poussé auprès d'Héloïse après l'ablation de ses génitoires.
Jean Teulé en tire un roman, bien troussé, qui s'inspire de la réalité historique sans s'y laisser emprisonner.
Ainsi, ce n'est pas le chanoine Fulbert qui aurait offert à Abelard une chambre chez lui, mais Abelard qui a demandé au parrain d'Héloïse de le prendre comme pensionnaire, contre un fort loyer...et des cours particuliers, alors qu'il était le professeur le plus célèbre de Paris. Dès ce moment, il avait une idée de ce qu'il souhaitait. D'après son autobiographie, Abelard, à 38 ans, n'avait jamais connu l'amour charnel. Ce que nous appellerions aujourd'hui "le démon de midi" ? Il affirme que la nièce du chanoine l'a séduit "par l'abondance de son savoir", en ces temps où suivre des études n'était pas chose courante pour les filles. Il semblerait que la belle Héloïse avait alors 16 ans, et non 18, comme dans le roman de Teulé ! Abelard rattrape le temps perdu...Jusqu'à ce qu'Héloïse soit enceinte de ses oeuvres.
Pour parler de l'amour physique , Teulé alterne les termes anciens et les mots actuels, très crus.
Abelard emmène Héloïse enceinte en Bretagne, c'est à dire, à l'époque, à l'étranger. Ce que Teulé ne signale pas. Mais il montre bien l'incroyable égoïsme d'Abelard qui oblige Héloïse à entrer au couvent, afin de sauver sa carrière. Et Héloïse accepte et se sacrifie par amour, pour l'amour de l'homme qu'elle aime. Héloïse sera donc, "une religieuse cultivée comme peu de femmes le sont en ce siècle."
Fulbert avait accepté le "mariage de compensation" qui était encore en pratique au XXe siècle : la fille est enceinte, le garçon l'épouse pour réparer. C'est parce qu'Abelard ne respecte pas ce mariage en envoyant Héloïse au couvent, que Fulbert paie des hommes de main pour lui faire subir la peine alors prévue pour les époux adultères : il sera châtié par là où il a péché.
Les controverses théologiques sont un peu plus difficiles à suivre. La tentative d'Abelard d'appliquer à la religion les principes de la logique est, bien entendu, condamnée par les pères de l'Eglise, que Teulé décrit comme majoritairement ivrognes. "Sous forme de cent cinquante questions, il pointe toutes les incohérences de la religion chrétienne." "Le raisonnement par la logique est une usurpation de l'autorité divine et donc un blasphème". Bernard de Clairvaux, qui sera plus tard sanctifié, est le principal accusateur. Il est particulièrement "soigné" par Teulé qui le qualifie "d'avorton" et de "hyène en soutane". Abelard finira par être déclaré "hérétique", condamné au silence perpétuel, mais recueilli par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, et grand adversaire de Bernard de Clairvaux.
Héloïse et Abelard ne seront réunis que dans la mort (aujourd'hui au Père Lachaise). Tous les deux au même âge, donc avec vingt, ou vingt deux, ans d'écart.
"Un beau conte d'amour et de mort".
"Felicitas habetur in ista et non in alia" (Le bonheur se possède dans cette vie et pas dans une autre)
13:27 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, histoire