24/10/2009
Le bibliothécaire
Le bibliothécaire
Larry Beinhart
Grand prix de littérature policière 2006
Folio policier n°466
Depuis Millenium c'est le premier livre qui m'a fait oublier d'éteindre la lumière pour profiter d'un indispensable et réparateur sommeil.
Il faut quelques pages pour mettre en place l'intrigue, puis le suspens devient assez intense.
Roman policier, mais aussi livre très politique. Bush n'est pas cité. Dans le roman le Président s'appelle Scott, mais il est impossible de se tromper à la description de ce fils à papa, va-t-en guerre mais planqué, alcoolique devenu ultra du christianisme, par électoralisme.
Les critiques contre l'administration "républicaine" américaine sont sévères, mais justifiées : les lois liberticides, au nom de la lutte contre le terrorisme, les élections transformées en "reality show" ("Une campagne présidentielle, aujourd'hui, se résume à ce que vaut le candidat à la télévision" ; "la manière dont les choses apparaissent à l'écran est devenue la clef du pouvoir"), les allégements d'impôts pour les plus riches, "pour transférer les charges sur les classes moyennes et laborieuses" (ce n'est pas en France que notre Président ferait ça...), le transfert des charges du budget fédéral sur le budgets de Etats (comme si, chez nous, les dépenses sociales étaient transférées aux collectivités locales, dont les impôts ne sont pas progressifs, et ne tiennent pas compte des revenus), les médias aux ordres des annonceurs ("C'est inouï la vitesse à laquelle on peut saturer les médias, les faire fonctionner en meute, leur faire reprendre tous en chœur la même chanson" ; "La capacité d'un journaliste à survivre et à prospérer dans une des grandes sociétés qui servent les informations à la télévision sous forme ludo-éducative est directement liée au potentiel d'auto-aveuglement dudit journaliste", la victoire volée en Floride, avec l'aide d'une Cour suprême majoritairement nommée par les Présidents réactionnaires
L'intrigue est simple : pour maintenir au pouvoir le Président qui défend leurs intérêts, des hommes sont prêts à tout, vraiment à tout (y compris à jouer le jeu des provocations pour entraîner un reflexe sécuritaire, air connu en France également), et ils ont de l'argent pour cela.
Pour eux la politique n'est qu'une branche des affaires, pour gagner encore plus d'argent.
Il décide donc d'éliminer le bibliothécaire embauché par l'un d'eux, pour classer ses papiers, et donc susceptible d'avoir découvert des secrets inavouables.
Les méchants sont de vrais cauchemars, qui prétendent représenter le Bien, mais les gentils apprennent vite à ne pas se laisser faire.
"Jurant comme un matelot qui vient d'apprendre que son brûlant accès de chtouille appartient à une nouvelle variété incurable"
"C'était aussi bon qu'une phrase d'Hemingway, à l'époque où il était bon"
"C'était une manière de me défendre contre l'impression que la gauche était en pleine déconfiture, que les porte-parole de la gauche ne savaient plus s'exprimer qu'en charabia."
"Ca ne représente aucun intérêt d'avoir raison si l'on est pas capable de convaincre les autres"
"Il y a une chose qui ne se justifie jamais, c'est le manque d'intelligence. Il est immoral de rester ignorant alors qu'on aurait pu être lucide"
"L'Histoire ce n'est pas une suite d'évènements, c'est leur description"
"L'essence du gouvernement, c'est le pouvoir ; et le pouvoir se trouvant nécessairement dans des mains humaines, il sera toujours susceptibles d'abus"
"La vertu est plus à craindre que le vice, car ses excès ne sont pas soumis aux prescriptions de la conscience" (Adam Smith)
"Faire ce qu'on veut vraiment, au moins une fois de temps en temps, voilà le secret de la vie"
08:42 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
10/10/2009
Tokyo
Tokyo
Mo Hayder
Pocket n°12844
Sur les couvertures de ses livres son nom est écrit quatre fois plus gros que le titre de l'ouvrage : un signe qui ne trompe pas sur la notoriété de l'auteur(e).
Je me suis donc senti obligé de découvrir l'œuvre de cette anglaise blonde aux yeux bleus.
Ma spécialiste des "thrillers" m'a conseillé Tokyo, lauréat du prix SNCF du polar européen, prix des lectrices d'ELLE, et qui figure dans la sélection "100 polars" de la FNAC.
Ce livre est écrit à la première personne, mais il y a deux "premières personnes", dont les histoires se rejoignent : d'une part une jeune femme, anglaise, qui arrive à Tokyo pour faire des recherches historiques qui l'obsèdent, et travaille, pour survivre, comme "hôtesse" dans un club, et d'autre part un lettré chinois qui raconte l'angoisse devant l'arrivée des envahisseurs japonais, à Nankin, en décembre 1937 (300.000 morts, niés par de nombreux historiens japonais.
Le lecteur est conduit, doucement mais surement, vers le double suspens, intense, des cent dernières pages, avec une phrase finale qui n'est pas franchement optimiste : "en ce monde aucun de nous n'en a pour très longtemps".
Remarque : je n'ai pas trouvé dans ce livre, qui ne manque pas de tendresse(s), la moindre trace d'humour, même macabre.
Questions :
Comment peut-on imaginer des choses pareilles ?
Comment de telles horreurs peuvent-elles être inspirées par des faits réels ?
Jusqu'au l'être humain est-il prêt à aller dans son pacte faustien à la recherche de l'immortalité ?
"Il n'y a rien d'autre que la superstition pour éclairer les errements de notre monde"
"La patience transforme la feuille de mûrier en soie"
"Le Japon et la Chine avaient en commun d'avoir traversé des années où les seules protéines accessibles au peuple étaient celles des cocons de vers à soie"
"On mange d'abord avec les yeux" (proverbe japonais)
08:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
06/10/2009
l'épreuve de Julien Dray
L'épreuve
Julien Dray
Editions "Le cherche midi"
Il y a bientôt un an, à 6heures 35, le matin, soixante policiers procèdent à des perquisitions simultanées pour tenter de prouver que le député Julien Dray a bénéficié de "chèques de complaisance" de la part d'associations qu'il a aidé à naître, notamment "SOS racisme" et la Fédération des Lycéens.
Pendant que sa femme et ses enfants voient les policiers envahir leur appartement parisien, il est dans son logement de l'Essonne, où se trouve sa permanence de député.
Alors qu'il ne sait pas encore ce qui lui est reproché, la presse, manifestement avertie, le présente comme un acheteur compulsif, collectionneur de montres très chères ("ma collection de montres de luxe -j'aimerais bien qu'elle existe", vivant au dessus des moyens d'un député.
Combattant politique blessé, manifestement prêt à faire autre chose que de la politique dans la dernière période de sa vie, Julien Dray clame son innocence, et dans ce livre thérapie, s'adresse successivement aux un(e)s et aux autres pour dire sa détresse, ses indignations, dressant au passage un tableau très noir du PS, de la justice, de la presse.
Il dénonce les journalistes, "trop paresseux pour mener leur propre enquête", "qui se prennent non seulement pour des juges et des policiers, mais aussi pour des experts comptables", "juge, jury exécuteur", "les chiens" comme a dit Mitterrand (François), lui qui ne portait jamais de montre, aux obsèques de Pierre Bérégovoy, victime, lui aussi, d'un lynchage médiatique.
François Mitterrand qui a été le seul parlementaire de gauche, avant Julien Dray, à bénéficier de l'"honneur" d'avoir son bureau perquisitionné à l'Assemblée nationale.
Julien Dray décrit "une pratique journalistique consistant à devenir le porte-voix et le diffuseur d'officines qui recourent à l'intox et à la manipulation de l'opinion, jusqu'à prendre les couleurs du harcèlement". Il a gagné son premier procès pour diffamation contre "Le Point", les autres sont en attente. Cela a fait, à peine, un entrefilet dans les journaux.
Il raconte la saisie de son calepin bourré de chiffres qui se révèlent être non pas les relevés de ses mouvements financiers...mais de son taux quotidien de diabète !
Il dénonce la réforme de la justice qui met l'enquête préliminaire sous la responsabilité non pas d'un juge d'instruction, mais directement sous la tutelle du "parquet" et donc du ministre de la justice et il propose une "sécurité sociale de la justice".
Il voit un lien entre ses velléités d'être Premier Secrétaire du PS, et ses ennuis.
Il regrette amèrement l'attitude de "prudence" de Martine Aubry, et de Ségolène Royal qu'il a appuyée de toutes ses forces lors de l'élection présidentielle.
Il regrette "ces petites mesquineries que l'on se permet quand on voit un homme amoindri, et que l'on ne le sent plus en capacité de nuire".
"Quand la tension monte, les uns et les autres succombent à leurs pires travers et se livrent à des escarmouches où tous les coups sont permis, et même certains que l'on ne délivrerait pas à nos adversaires politiques".
"Nous n'avons plus de colonne vertébrale idéologique. Nous n'avons plus de projet qui fasse immédiatement sens dans l'esprit de nos concitoyens ou qui leur donne simplement envie".
"Sans ligne idéologique, nous sommes dans l'opportunisme et l'empirisme le plus total".
Il tente de se consoler avec Lévinas : "Ce qui n'aura pas d'importance dans cinq ans n'a pas d'importance aujourd'hui.", Adriano Sofi : "Etre fidèle à soi-même, tel qu'on a été, est une nécessité urgente et stupide" et la maxime "J'ai perdu mes certitudes mais gardé mes convictions".
"On est qu'un petit caillou, tout petit. Il y a une Histoire qui nous dépasse et qui continue. Il faut tout relativiser au regard de celle-ci."
08:40 Publié dans vie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, littérature
04/10/2009
Imperator
Imperator
Jean-Michel Thibaux
Editions Plon
IIIe siècle : Rome vient de fêter ses 1.000 ans, mais l'Empire se délite. Non pas à cause des orgies, comme le raconte les moralistes, mais à cause des guerres civiles : les légions se battent contre les légions qui proclament de nouveaux empereurs aussi vite qu'elles les renversent et les assassinent. A cause également de la pression des peuples en marche vers les richesses romaines, pillées ailleurs, et l'espérance d'une vie meilleure.
En 212 l'empereur Caracalla a donné la citoyenneté romaine à tous les sujets de l'Empire. Les anciens "Barbares", assimilés peuplent les armées et atteignent des postes élevés dans l'administration et le pouvoir d'Etat. Ils ne serviront pas longtemps de rempart face à la poussée de leurs "frères de sang".
C'est l'époque à laquelle les Francs commencent à s'infiltrer en Gaule.
Les chrétiens, secte en plein essor, servent de "boucs émissaires" pour conjurer les problèmes. Ce qui permet, au passage, d'accaparer leurs richesses.
Le 40e empereur, Valérien (Publius Licinius Valerianus) arrive au pouvoir à l'âge avancé, surtout pour l'époque, de 58 ans. Il persécute les chrétiens.
Il ne règnera que sept ans, battu par les Perses, et sera remplacé par son fils Gallien ("l'Imperator" du roman) qui, pour avoir la paix avec sa femme, chrétienne, abrogera les édits de persécution. Il ne règnera que huit ans, assassiné par des officiers, remplacé par Claude II, surnommé "le gothique".
Ce roman raconte cette période à travers l'histoire de deux jeunes sœurs, Goths mais Romaines, l'une médecin à Argentoratum (Strasbourg), l'autre institutrice à Rome, très vite proche du pouvoir. L'auteur peut ainsi nous raconter la vie chez les riches comme chez les pauvres, chez les Romains comme chez les "Barbares".
"A tout moment, songe avec gravité à faire ce que tu as en main, avec une stricte et simple dignité, avec amour, indépendance et justice, et à donner congé à toutes les autres pensées. Accomplis chaque action comme étant la dernière de ta vie." (Marc Aurèle)
"Doit-on être cloué sur une croix pour racheter les péchés du monde ?"
08:33 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
27/09/2009
Le cuisinier de Talleyrand
Le cuisinier de Talleyrand
Jean-Christophe Duchon-Doris
10/18 n°4038
Vienne, hiver 1814/1815 : le congrès s'amuse, les bals succèdent aux réceptions grandioses pour occuper tous les princes et diplomates, généralement bien accompagnés, qui doivent se partager l'Europe tandis que Napoléon, vaincu est à l'ile d'Elbe.
Un meurtre atroce a lieu à proximité du château de Schönbrunn, où séjourne "l'Aiglon", héritier putatif de l'Empire napoléonien.
Très vite le policier chargé de l'enquête, fils batard d'un prince croate et d'une tzigane, découvre l'identité de la victime : le maître rôtisseur de Talleyrand, lequel a fort à faire pour réinsérer la France dans le concert des Nations, comme puissance qui compte. Il le fera en jouant des craintes suscitées par les volontés hégémoniques de la Russie et de la Prusse.
L'énigme policière est un bon prétexte pour suivre les méandres de la diplomatie.
Pour réussir son opération de séduction, Talleyrand compte sur sa ravissante nièce, Dorothée, mais aussi sur son maître-queux, Augustin Carême, "monstre de travail, curieux de tout et attentif au moindre détail", qu'il a amené avec lui de Paris, et qui donne toutes ses lettres de noblesse à l'art culinaire...et sur qui pèsent tous les soupçons. "Il était le représentant de cette classe d'hommes à l'énergie exceptionnelle qui avaient profité des formidables remous de la Révolution et de l'Empire pour monter à la surface et s'y maintenir à la force des bras. Le contraire de tous ceux qui ne devaient leur rang qu'au seul mérite de leur naissance."
Chaque chapitre est un menu qui fait rêver.
Un complot bonapartiste constitue une autre piste, via une mystérieuse "Société de l'arbre de gourmandise", qui considérait que "la connaissance dont Dieu entendit priver l'homme était celle du plaisir des sens, de la volupté et de la jouissance".
Nous ne saurons qu'à la fin qui a tué. Dommage que le style soit parfois ampoulé.
"Quel que soit le prix de la brièveté, il ne faut point l'acheter aux dépends de l'exactitude" (Talleyrand)
"Le monde ne se jauge qu'à deux mesures : celle de l'ennui et celle de l'agrément. L'ennui gagne chaque jour du terrain et l'agrément, à le poursuivre, demande toujours moins de pudeur et toujours plus d'audace"
09:08 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature