11/12/2010
Féroce Guinée
Féroce Guinée
Gérard De Villiers
SAS n° 185
Dans le golfe de Guinée, trois pays portent ce nom :
- La Guinée, dont la capitale est Conakry, et qui vient d'élire Alpha Condé à la présidence de la république. C'est la première fois, depuis l'indépendance à l'égard de la France, en 1958, que des élections libres et démocratiques ont eu lieu. Et un socialiste a été élu. Nous étions intervenus pour le faire sortir de prison, où il était pour des raisons purement politiques. Je l'avais fait venir au Parlement européen, il y a une dizaine d'années, à sa sortie de prison ;
- La Guinée équatoriale, hispanophone, petite éponge à pétrole d'Amérique centrale, dont les dirigeants s'enrichissent scandaleusement sans se préoccuper de la misère de leur peuple ;
- La Guinée Bissau, lusophone, un des pays les plus pauvres du monde, dont il est question dans ce livre.
La moitié de la cocaïne en provenance d'Amérique latine et à destination de l'Europe passe par l'Afrique de l'ouest, puis par la bande désertique sahélo-saharienne, grande comme deux fois la France.
Comme "tête de pont" de ce trafic, rien de tel qu'un Etat failli, désorganisé, pauvre, sans police, dont les dirigeants militaires, qui contrôlent le passage des avions et des bateaux, contrôlent également le pays.
La Guinée Bissau correspond parfaitement à la définition : les militaires y tiennent une place essentielle, les présidents s'y font assassiner, les premiers ministres et les chefs d'état major gênants y sont écartés, généralement violemment.
Le seul revenu est l'exportation de la noix de cajou...et l'aide internationale qui représente 80% du squelettique budget de l'Etat. "Les subventions, c'est sacré, parce que cela nourrit la classe politique de Guinée Bissau".
Facile donc de corrompre le chef d'état major de l'aviation et le chef d'état major de la marine, le contre-amiral Bubo Na Tchuto, héros négatif de ce roman.
Obligé, temporairement, de fuir après une tentative de putsch manqué en 2008, Bubo vient d'être, par décret présidentiel, renommé à la tête de la marine, ce qui représente un échec cuisant pour la communauté internationale...et pour SAS chargé de le neutraliser !
Le gouvernement a saisi tous ses biens aux Etats-Unis et interdit toute transaction avec lui.
D'après De Villiers, si la CIA s'occupe, enfin, de Bubo, ce n'est pas tant à cause du trafic de drogue à destination de l'Europe que de ses liens avec l'AQMI, branche d'al-Quaïda dans le Sahel.
Les terroristes bandits de l'AQMI ne peuvent pas vivre uniquement de l'argent des rançons. Ils s'enrichissent donc également, soit en assurant leur "protection" aux passeurs de drogue, soit en se chargeant eux mêmes du transport.
L'histoire ne dit pas par où passe la cocaïne à la sortie du désert, et avant d'arriver en Europe. J'ai lu un article d'un universitaire londonien qui met directement en cause les services secrets algériens...mais ceci fera peut-être l'objet d'un autre roman !
Et maintenant que SAS est reparti ? La mission "réforme de la sécurité", de l'Union européenne, mise en place au moment de la Présidence portugaise, plie bagages, consciente de son échec. La CEDEAO, organisation régionale africaine de l'Afrique de l'Ouest envisage une mission de "stabilisation", ce dont l'armée locale ne veut pas entendre parler...
Le trafic de drogue via la Guinée Bissau, et le Sahel, a encore de beaux jours devant lui !
"Ce continent recueillait des gens au passé flou qui échouaient là et ne repartaient plus jamais"
08:01 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature
04/12/2010
Black Bazar
Black Bazar
Alain Mabanckou
Editions du Seuil
J'avais bien remarqué Alain Mabanckou, et sa casquette, au café afro-cubain, du coin de la rue Saint Denis et de la rue de la Ferronnerie. Comme ce n'est pas à Paris que je garde mes livres de littérature africaine, je ne pouvais aller le voir en lui demandant une dédicace. Je ne me voyais pas non plus aller le déranger en lui disant : "J'ai lu, presque, tous vos livres depuis "Les petits fils nègres de Vercingétorix" en 2002. Vous avez eu le prix Renaudot pour "Mémoires de porc-épic", mais vous méritiez de l'avoir l'année précédente pour "Verre cassé", que j'ai trouvé bien meilleur..."
J'ignorais à ce moment là qu'il allait faire, ou qu'il avait déjà fait, du "Jip's", ce "maquis" au cœur de Paris, un élément central de "Black Bazar".
"Black Bazar" se déroule à Paris, avec plein d'allers et retours, par l'esprit, avec le "petit" Congo, par opposition au Congo "belge".
Essentiellement dans certaines parties de Paris que je connais bien :
- le JIP's, où l'on peut prendre des cours de salsa tous les dimanches après-midi. Imagination du romancier : Mabanckou invente en face de ce café coloré une boutique de strings, alors qu'il n'y a que d'un côté un "Bistrot romain" et de l'autre une pizzeria...
- la rue Riquet, et le métro Marx Dormoy, ce qui me ramène entre 50 et 60 ans dans mon passé, à une époque où les Algériens y étaient beaucoup plus nombreux que les Congolais...
- Les alentours du métro "Château d'Eau", avant d'arriver à la gare de l'Est, et tous ses coiffeurs spécialisés dans les chevelures africaines. J'y ai souvent remarqué les attroupements d'Africains à la sortie du métro, je n'aurais jamais imaginé l'explication qu'en donne le romancier...
Il n'y a pas vraiment d'histoire, mais, comme souvent chez Mabanckou, la description d'un personnage attachant, en l'occurrence le "Fessologue", et, comme le dit l'auteur : "Un écrivain est un artiste, c'est un peintre des mots..."
De plus, comme l'auteur enseigne la littérature francophone, les allusions littéraires, et pas seulement concernant la littérature francophone, y sont légions.
"Dis moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es". (Une des devises de la SAPE , "Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes")
08:55 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
27/11/2010
Lost City Radio
Lost City Radio
Daniel Alarcon
10/18 n°4327
Un jeune auteur américain, d'origine péruvienne, parle d'un pays imaginaire, qui fait irrésistiblement penser au Pérou des années noires, quand l'armée avait les pleins pouvoirs pour lutter contre le terrorisme.
Mais l'on pourrait penser à d'autres pays latino-américains ayant subi une guerre civile et/ou une juste militaire.
Un pays qui veut oublier la guerre civile, qui reste, malgré tout, ancrée dans les mémoires.
L'émission "Lost City Radio" est consacrée, chaque semaine, aux nombreux disparu(e)s.
"Des centaines de milliers de personnes déplacées allaient former le cœur de son audience."
Bien entendu, l'animatrice de l'émission va se trouver confronter à son propre passé.
"Les hommes politiques, ça n'existe plus : il n'y a plus que des flagorneurs et des dissidents"
"La campagne comptait sur la militarisation croissante exigée par les forces de l'ordre, tirait sa force et sa légitimité d'un massacre d'innocents, ou de la disparition de tel sympathisant connu et bien aimé."
08:52 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
20/11/2010
chasse à l'homme au Pérou
Chasse à l'homme au Pérou
Gérard De Villiers
SAS n° 79
L'homme chassé, c'est "le camarade Gonzalo", c'est à dire Abimael Guzman, le chef du "Sentier lumineux" ("Le marxisme-léninisme est le sentier lumineux de l'avenir").
Ce roman, récemment réédité, a été écrit, et publié la première fois, en 1985, une des années les plus sanglantes du terrorisme mené par le "Pol Pot des Andes". Comme "La vie de Mayta" de Mario Vargas Llosa, publié la même année, il s'inscrit alors dans une actualité dramatique, aggravée par une crise économique épouvantable.
Le paradoxe est que les lecteurs de 1985 savent très bien que, malgré la chasse à l'homme, Guzman n'a pas été capturé.
Et les lecteurs de 2010 savent qu'il est sous les verrous, condamné à la prison à perpétuité (il a été capturé en 1992, donc sept ans après la publication du roman).
Il peut y avoir des moments de suspens, mais sur le résultat final de la chasse à l'homme, pas de doute possible !
Nous savons également qu'Alan Garcia, le social-démocrate, n'a pas été assassiné et qu'il a été élu Président de la république, devançant largement le candidat de la "Gauche Unie" marxiste.
Reste que, comme "La vie de Mayta", ce roman est un témoignage intéressant sur la situation politique des vingt années de terrorisme subies par le Pérou, de 1980 à 2000 (70.000 morts et 600 000 déplacés, selon la commission "Vérité et réconciliation").
Inutile de hurler, je sais que, contrairement à Vargas Llosa, De Villiers n'est pas pressenti pour le Nobel de littérature ! Je revendique le droit de lire les deux...
Lire ce livre aujourd'hui, après l'arrestation de Guzman, permet de voir trois intuitions exactes et une erreur grossière dans l'analyse :
1) C'est, en effet, en suivant la piste, y compris dans les poubelles, des médicaments rares dont il avait besoin, en raison de sa grave maladie rénale, que la police a pu remonter jusqu'au chef du Sentier lumineux, et non grâce aux tortures.
Il est intéressant, à ce sujet, de voir un homme de droite comme De Villiers, obsédé de l'anticommunisme, dénoncer avec autant de conviction le recours à la torture par la police.
Comme l'a écrit Vargas Llosa : "Pour comprendre le Pérou, il faut visiter le musé de l'Inquisition !"
Comme moi, vous pouvez sauter la description des horreurs...
2) Le lien entre les terroristes et les narcotrafiquants. Comme pour le FARC en Colombie, l'idéal révolutionnaire a, peu à peu, disparu derrière les profits fabuleux du trafic de drogue et des rançons payées par les familles des otages ;
3) Chassé des campagnes par les paysans victimes de leurs actions, le "Sentier lumineux" choisit de s'implanter dans les bidonvilles de la capitale ;
4) Malgré ma haine pour le culte de la personnalité, je constate que l'arrestation de Guzman a quasiment mis fin aux actions terroristes du "Sentier". De Villiers ne l'avait manifestement pas prévu !
Encore plus que dans "Tintin et le temple du soleil", on boit du "Pisco Sour", l'apéritif national. Recette : eau de vie + jus de fruits + blanc d'œuf. A la votre !
"Lima grouillait de beautés farouches, provocantes avec leurs tenues super ajustées" (Il ne faut pas se fier à l'imagination des romanciers...ou alors les choses ont bien changé depuis !)
08:57 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
13/11/2010
Un livre très politique du prix Nobel de littérature
Histoire de Mayta
Mario Vargas Llosa
Prix Nobel de littérature 2010
Folio 4022
Même sans aller au Pérou, même sans Prix Nobel de littérature, donc même sans prétextes, un livre passionnant, littéraire et politique.
C'est l'histoire de Mayta, militant dans un groupuscule trotskiste, issu d'une scission. Pabliste, ou non ?
"Il était encore dans cette adolescence où la politique consistait exclusivement en sentiments, indignation morale, rébellion, idéalisme, rêves, générosité, mystique."
"La recherche de la perfection, de la pureté. Quand on poursuit cela, en politique, on arrive à l'irréalité."
"A cette époque, cela semblait impossible qu'un garçon dévot devînt communiste".
C'était avant qu'un prête péruvien, Gustavo Gutierrez, ne théorise la "théologie de la libération".
"Il n'est pas possible que le remède contre tant d'iniquité soit la promesse de la vie éternelle."
"Quand Dieu mourut dans son cœur, il crut avec la même ardeur à la révolution".
Un jour se présente la possibilité de l'action directe. "La révolution cubaine eut raison des inhibitions. La révolution sembla se mettre à la portée de tous ceux qui avaient l'audace de se battre". Mayta cède à la tentation de la participation à un coup de force, qui échoue lamentablement, dans l'indifférence, sinon l'hostilité, des paysans et des mineurs. Dans la région de Jauja (voir Tintin et le temple du soleil !).
Mais, "les révolutionnaires ne se repentent pas. Ils font leur autocritique."
Ce roman, toujours actuel, a été écrit en 1984, et la date n'est pas sans importance. Cette année là, le terrorisme du "Sentier lumineux" ("Le marxisme-léninisme est le sentier lumineux du futur" = 70.000 morts entre 1980 et 2000) est à son paroxysme et le président Fujimori, aujourd'hui en prison, donne les pleins pouvoirs à l'armée pour lutter contre les groupes révolutionnaires. Les communautés paysannes sont prises entre deux feux, entre deux violences.
"Tout cette violence n'a apporté que de la violence. Et les choses n'ont pas changé." "A la misère et au chômage s'est ajoutée la tuerie".
C'est donc tout un pan de l'Histoire récente du Pérou qui se profile en toile de fond.
"Informer, c'est maintenant interpréter la réalité selon les désirs, les craintes ou les convenances".
"La plupart des gens sont honnêtes parce qu'ils n'ont pas d'autre alternative".
08:26 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature