21/06/2008
Réplique au discours de Nicolas Sarkozy, chanoine de Latran
A Latran, le tout nouveau chanoine honoraire explique : "la morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n'est pas adossée à une espérance qui comble l'aspiration à l'infini. Une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques, et finalement à la facilité". Qu'est-ce que la transcendance, pour le Président de la République laïque ? "Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme" (Discours de Ryad). Dans la même ligne, le Président de la République laïque, dans ses vœux au corps diplomatique, après avoir parlé du défi du changement climatique annonce que "le deuxième défi est celui des conditions du retour du religieux dans nos sociétés"... Et, comme il le dit en Arabie Saoudite, devant un Roi wahhabite, une des formes les plus arriérées de l'Islam, alimentée par l'argent du pétrole, et ayant alimenté de nombreux groupes terroristes : "Je ne connais pas de pays dont la civilisation n'ait pas de racines religieuses". "Ce sont les religions qui nous ont appris les principes de la morale universelle, l'idée universelle de la dignité humaine". Stupéfiant quand ont sait de quelle façon la "dignité humaine", en particulier celle des femmes, est respectée par le wahhabisme en général, et dans ce pays en particulier. "C'est peut-être dans le religieux que ce qu'il y a d'universel dans les civilisations est le plus fort". Et, au cas où nous n'aurions pas compris : "il y a dans toutes les religions quelque chose d'universel". "La France et l'Arabie saoudite ont un idéal commun". Je me dis, quand même, qu'heureusement que les valeurs religieuses du wahhabisme ne sont pas universelles...
JLM rappelle que tous les Papes condamnèrent les législations royales de tolérances religieuses, comme l'Edit de Nantes, qui mit fin à la guerre civile en France, entre catholiques et protestants. Mais pour Nicolas Sarkozy "le temps n'est plus pour les religions à se combattre entre elles, mais à combattre ensemble contre le matérialisme". En plein débat sur la baisse du pouvoir d'achat, il est bien de déclarer, en Arabie Saoudite, devant des princes à la richesse tapageuse : "il ne suffit pas à l'Homme de consommer pour être heureux" ! Nous sommes loin de la laïcité qui, comme le dit Mélanchon "prône l'indifférence au religieux en politique pour rendre possible l'unité et l'indivisibilité de la communauté civique. "De l'égalité de traitement des religions, on glisse à l'idée d'égale valorisation des religions, indispensables au bon fonctionnement de la société, et à l'épanouissement des personnes."... Je connais Jean-Luc depuis plus de trente ans. Il a construit toute sa carrière politique à l'aile gauche du PS, ce qui ne l'a pas empêché d'être un ministre plus réformiste que révolutionnaire. Je me souviens quand, à 35 ans, maître de l'appareil fédéral du PS de l'Essonne, il est devenu le plus jeune sénateur de France. Nous avons souvent été en désaccord. Toujours sur l'Europe. Sans que cela n'empêche jamais une grande fraternité humaine.
Son petit livre est une excellente réplique, laïque, et digne de son grand talent, au chanoine de Latran.
07:56 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : laïcité, sakozy
14/06/2008
Les pirates du capitalisme
Les pirates du capitalisme
Comment les fonds d'investissement bousculent les marchés
Solveig Godeluck et Philippe Escande
Editions Albin Michel
Un livre essentiel pour comprendre le capitalisme de ce début du XXIe siècle !
Il décrit "un monde où l ' argent circule bien plus et bien plus vite que les hommes, où l ' économie toute entière baigne dans la finance." Si les "fonds" ont en commun de transformer le capitalisme financier mondialisé, et d'être géré par des gens qui gagnent beaucoup d'argent en spéculant avec l'argent des autres, les auteurs nous expliquent qu'il ne faut pas confondre :
- les "hedge funds", spéculatifs, littéralement "fonds de couverture", qui gèrent environ 2.000 milliards de $ achètent et revendent le plus rapidement possible des actions en bourse, repartant aussi soudainement qu'ils sont venus (rarement plus d'un an). "S'ils sont les premiers à anticiper, ils empocheront une belle plus-value". Ils servent souvent de "poissons pilotes" mais ne font pas appel à l'épargne public. Si vous êtes tenté(e) le ticket d'entrée est à 5 millions d'euros.
- les fonds de pensions qui prennent des participations tranquilles et minoritaires dans des entreprises cotées en Bourse, pour payer les retraites par capitalisation. Leur poids actuel est estimé à 20.000 milliards de $ (Donc 10 fois plus que les "hedge funds"). Ils "ont un travers : ils ne font rien pour éviter qu'une de leurs participations fonce dans le décor. Ils se contentent de déserter lorsqu'ils flairent un danger." Pour faire face aux retraites massives du "papy boom", ils leur arrivent de faire quelques placements dans les fonds spéculatifs.
- les fonds "souverains", afflux de liquidités en provenance des pays fortement exportateurs comme la Chine et les monarchies pétrolières. Ils sont estimés à plus de 3.000 milliards de $ et devraient atteindre 12.000 $ d ' ici 2015.
- les fonds d'investissements, objets principaux de ce livre. En France, ils possèdent des entreprises qui, au total, emploient un million et demi de salarié(e)s et qui profitaient du crédit abondant et bon marché, d'autant plus que les intérêts d'emprunt sont déductibles de l'impôt sur les sociétés. Le marché du crédit privé, aux USA + Union européenne, frôle les 30.000 milliards de $, soit plus que le total des actions en bourses (et plus que les fonds de pensions). La spécialité de ces immenses tirelires n'est pas le placement en Bourse (pas de comptes à rendre !) mais l'achat d'entreprises, la plus value se réalisant quelques années plus tard, à la revente, souvent en doublant ou en triplant la mise, après leur avoir fait subir un "traitement" plus ou moins profond. Dans plus de la moitié des cas ils achètent une entreprise cotée en Bourse...et la retire de la cotation. Bien entendu, les salariés, premières victimes des "dégraissages" (en clair des diminutions d'effectifs), et de la remise en cause des "avantages acquis", ne touchent rien de ces plus values (80% pour les investisseurs, 20% pour les gérants). Les cadres sont fortement invités à entrer dans le capital, quitte à s'endetter, ou à hypothéquer leur maison, comme gage de leur motivation. "Cette complicité est la pierre angulaire du montage". Et ces managers / propriétaires sont plus exigeants avec les salariés. En France, troisième pays d'accueil au monde de ces fonds, les sommes investies ont été multipliées par 10 en 10 ans : 5.000 entreprises, ¼ des sociétés de plus de 250 salariés, de Picard à Dim, de Materne à Yoplait, pour un chiffre d'affaires cumulé supérieur au CAC 40.
- les "private equity", sont des fonds d ' investissements, qui n ' ont rien d ' équitable. "Private" signifie "hors la Bourse" : ils veulent maîtriser la majorité du capital pour mener la stratégie qu ' ils entendent être la plus profitable, pour avoir une rentabilité meilleure qu ' un placement en Bourse. Ils "mobilisent" plus de 500 milliards chaque année, y compris des emprunts qu ' il faut rembourser ! La rentabilité du placement est généralement supérieure à 30% par an, contre 10 à 15% pour les placements en Bourse. Et les plus-values en capital ne sont généralement imposées qu ' entre 10 et 20% (alors que les impôts sur les salaires peuvent atteindre 45% : mieux vaut avoir des "stock options" !)
Extraits :
"L'éventail des salaires a été multiplié par cent. La création de valeur pour l'actionnaire a fait de l'ombre à la cohésion sociale dans l'entreprise."
"Les 20 premiers gérants de fonds gagnent plus de 22.000 fois le salaire moyen d'un salarié américain.
"Mondialisation + fonds + nouveaux outils spéculatifs = explosif !"
"Le temps moyen de détention d'action d'une entreprise par des investisseurs institutionnels est passé en quelques années de sept ans à sept mois."
"Ce qui change l ' économie et qui change le monde en ce début de millénaire, ce ne sont pas les fonds, mais l ' insondable océan de la dette" (30.000 milliards de dette privée pour les USA et l ' Europe).
"La dictature de l ' actionnaire manque aujourd ' hui singulièrement de contre-pouvoirs.
Citations
"Les affaires ? C'est bien simple, c'est l'argent des autres !" Alexandre Dumas fils
"La société postindustrielle a détruit les systèmes de protection sociale passés et n ' a pas encore trouvé ceux qui seraient adéquats". Daniel Cohen
J ' ai eu le plaisir de faire la connaissance de Solveig Godeluck, il y a un peu plus de 10 ans. Elle était alors étudiante à l ' école de journalisme de Lille. Dans le cadre d ' un exercice de l ' école, dans le style "dernière page de Libération", elle avait fait le portrait du Secrétaire Général du Parti Socialiste Européen que j ' étais alors. Elle m ' avait gentiment qualifié de "cacochyme". Comme elle avait du talent et que je voulais prouver que je n ' étais pas rancunier, je lui ai fait écrire les brochures racontant deux Congrès du PSE.
Aujourd ' hui, elle est journaliste au quotidien économique "Les Echos". Elle avait déjà écrit, de belle façon, trois livres des plus intéressants : "Entre gens de bonnes compagnies" (Comment les maîtres de la Bourse trompent les actionnaires) ; "La Géopolitique d ' Internet" et "Le boom de la netéconomie".
08:36 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : capitalisme, économie, fonds
07/06/2008
Sardines
Ce second volet de son triptyque intitulé de façon explicite "Variations sur le thème d'une dictature africaine" est particulièrement consacré à la condition des femmes. Avec une conclusion implacable : si la dictature est possible, c'est parce qu'elle existe déjà au sein de la famille, du clan, de la société.
Dans leur condition, les femmes ne sont pas victimes seulement des hommes, mais également des plus traditionnalistes d'entre elles qui tiennent à faire subir à leurs petites filles les douleurs qu'elles ont vécues. Extraits : "Nous disons que nous sommes socialistes en public, ou quand nous sommes en présence de ceux qui ne savent pas que nous faisons semblant, que nous jouons. Aussitôt que le rideau retombe sur la scène, aussitôt que nous sommes seuls, le masque tombe et nous venons réclamer notre part du butin". "Quand un aigle s'envole triomphalement avec sa proie, il découvre que le ciel n'offre aucune place où se poser calmement pour dégarnir l'os de la chair". "Il faut sur imprimer le motif tribal sur la tapisserie de la politique africaine". "La stratégie reste la même : affame et règne". "Nous avons vu les échecs d'un impérialiste nationaliste (Nasser) et d'un impérialiste tribaliste (Kenyatta)". "Dans ce siècle, l'Africain est un invité, que ce soit en Afrique ou ailleurs". "La tradition nomade est bien moins rigide, en général, que le comportement institutionnalisé de la tradition arabe". "S'il avait un esprit aussi faible, c'était parce qu'il n'avait pas grandi avec un père fort à dépasser ou à imiter." "Elle déchira le dessin en morceaux pas plus grands que des larmes" "Chaque viol est politique : les puissants violent les faibles". "La femme ne doit pas prendre plaisir à l'extraordinaire exhibitionnisme extraverti de ces Européennes qui, ayant traqué le soleil jusque dans son séjour d'été, se baignent vêtues seulement de leur sueur triomphale." "Si elles sont bonnes musulmanes, elles vont au ciel, où Allah leur assignera leur tâche habituelle : celle de servir les hommes". "Comme toujours, il y avait une discrimination à l'encontre des filles : elles étaient enterrées à l'extérieur du cimetière familial. La plupart d'entre elles n'avaient pas de pierre pour marquer leur tombe". "Une femme, comme tous les êtres inférieurs, doit être laissée dans le doute" (Faut-il préciser que dans le livre ces affirmations ne sont avancées que pour être dénoncées et combattues ?) "La bonne écriture est subversive, la mauvaise ne l'est pas. La bonne écriture, c'est comme une bombe : ça explose à la face du lecteur". Citation : "Dans une ville affamée, il y a toujours un parfum de nourriture dans l'air" Malcom Muggeridge
07:47 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, afrique
31/05/2008
camarades de classe
Didier Daeninckx
Editions nrf Gallimard
Didier Daeninckx s'est fait connaître en 1984 pour "Meurtres pour mémoire", Grand prix de la littérature policière.
Il a ensuite publié de nombreux livres dans la "Série noire". Livres policiers très engagés à gauche. Le voilà aujourd'hui dans la "Blanche" de Gallimard, la "nrf".
Didier Daeninckx est né en 1949. Il avait donc 19 ans en 1968. Je le sais, je suis dans le même cas.
Ce livre est celui d'une génération de gamins qui ont grandi dans une banlieue "rouge", et qui se retrouvent, grâce au site "camarades de classe.com", parce que dans cette génération, bientôt sexagénaire, on fréquente internet. Il y en a même qui tiennent des "blogs" !
Ce livre évoque "ces années là", celles de nos 15 ans, et les visions différentes, déformées par les sensibilités, les positions sociales, les préférences affectives...et les mémoires.
Il évoque les destins divers, non programmés, même par l'appartenance sociale, qui auraient pu être différents, voire inversés par les hasards de la vie.
Quelle est la part de hasard, de chances, et de malchances, dans ce que nous sommes devenu(e)s ?
Ce livre dresse donc aussi quelques portraits possibles de membres de cette génération, aujourd'hui : celui qui est déjà mort, celui qui est vivant mais mort pour la société, celui qui est parti vers des terres lointaines, celui qui se demande jusqu'à quel âge il devra continuer à travailler pour toucher une retraite décente, celui qui a peur d'être viré, parce qu'à 59 ans, le risque existe d'être mis au rencart, ou même licencié, pour faire la place à un plus jeune, à un moins cher, celui qui assume une sexualité différente...
Comme dans tous les livres de Daeninckx, l'engagement politique est présent, à gauche mais non stalinien, moins pesant que d'habitude, sans prosélytisme, mais peut-être encore plus convaincant.
Une anecdote pour finir : il y a quelques années j'ai participé, avec grand plaisir, à des retrouvailles de ce genre, d'anciens du lycée d'Etampes, de la même génération. C'était très émouvant, mais un peu traumatisant : il n'y avait que des vieux !
Extraits :
" 58 ans, ça n ' arrange pas les affaires : ils exterminent toutes les tempes grises."
"Leur philosophie (celle de nos parents) reposait sur deux principes intangibles : premièrement on gagne son pain à la sueur de son front. Deuxièmement, on ne pète pas plus haut que son cul. Une boussole pour la vie".
"Décortiquer le mécanisme de l ' injustice, c ' est une manière d ' entretenir l ' esprit de révolte".
"On ne sait pas de quoi est faite la vie d ' un homme, sinon de malentendus, d ' occasions perdues. On est parfois sauvé par le hasard, dont on ignore toujours comment on l ' a saisi".
08:09 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature
24/05/2008
Mai 68 en photos
Rogier Viollet
Commentaires de Janine Casevecchie
Editions Chêne / Hachette
Belles photos en noir et blanc et la commentatrice a, manifestement, plus de sympathie pour les étudiants que pour les CRS.
Ce qui est bien dans ce livre, c'est que les différentes étapes sont bien marquées :
- du 2 au 13 mai : le mouvement étudiant, les barricades ;
- le tournant du 13 mai quand les ouvriers de mettent en grève, que la paralysie gagne le pays. Le mouvement s'étend : la télévision et le cinéma (Festival de Cannes) sont touchés car les artistes "entrent dans la danse" ;
- le tournant du 24 mai, quand De Gaulle disparait ;
- le retour, et le retournement, le 30 mai, avec la manifestation gaulliste sur les Champs Elysées. Début du reflux, avec la fin des grèves et les élections, triomphales pour la Droite, le 30 juin.
Pas de grands discours : les petits commentaires se contentent d'éclairer des photos explicites.
08:24 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : livre, photos, mai 68