30/08/2012
la Syrie sans Bachar el Assad ?
Le chemin de Damas (1)
Gérard De Villiers
SAS n°193
La thèse du romancier est surprenante : les Américains, ainsi que les Israéliens, ne voudraient pas la chute du régime syrien, par peur des islamistes. Leur solution aurait donc été de remplacer l'actuel Président afin de mieux permettre la continuation du régime alaouite.
Comme chacun sait, SAS, commandité par la CIA, n'est pas encore parvenu à ce résultat. Mais l'histoire n'est pas terminée...
"Les Américains veulent se débarrasser de Bachar el Assad pour former un gouvernement plus souple et mettre fin à la contestation. Ils ne veulent pas la chute du régime alaouite, mais un "ajustement" qui lui permettrait de durer, et d'éviter le chaos". "Qu'on lève l'état d'urgence et qu'il y ait quelques réformes".
"C'est le régime alaouite qu'il faut conserver. Sinon nous avons les Frères musulmans, et là, on ne sait pas où on va...". "Provoquer un Coup d'Etat intérieur qui permette de se débarrasser de Bachar pour que son successeur mette un peu d'eau dans son vin."
Quitte à s'appuyer sur ceux du pouvoir qui trouvent le président trop "mou"...par rapport à son père "qui avait exterminé en deux mois 20 000 islamistes, à Hama, en 1985, à l'arme lourde."
"Les Alaouites savent que, s'ils perdent, ils seront massacrés".
"Il faut éviter à tout prix une solution à la libyenne."
"Une victoire des islamistes aurait pour résultat la liquidation des chrétiens de Syrie."
La fin du régime pourrait entraîner également l'éclatement du pays. Les Alaouites se réfugiant dans leur région montagneuse adossée à la mer, les Kurdes demandant leur autonomie, comme en Irak.
"Israël s'accommodait parfaitement de la domination alaouite à Damas. Dans la pratique, il n'y avait jamais d'incidents de frontière. Israël considérait Bachar el Assad comme un partenaire peu sympathique, mais fiable, qui tenait son pays d'une main de fer. Les dictateurs avaient certains inconvénients, mais un véritable avantage : c'était un verrou solide. Quand ils sautent, cela peut avoir des conséquences fâcheuses".
De Villiers fait la confusion, probablement volontaire, entre les "Frères musulmans", les Salafistes (les musulmans qui veulent vivre comme au temps du Prophète - sauf la voiture, la télévision, le téléphone portable, l'ordinateur, etc.), et les terroristes d'Al-Qaïda, alors que les "Frères musulmans" sont combattus par Al-Qaïda. La voie terroriste contre la voie pacifiste, éventuellement électorale, comme en Egypte, au Maroc, en Tunisie... L'Arabie saoudite a cessé de financer Al-Qaïda quand les Russes ont quitté l'Afghanistan. Ben Laden a été déchu de sa nationalité saoudienne et tous ses avoirs gelés. Réciproquement, Ben Laden n'a jamais pardonné à l'Arabie Saoudite et au Qatar d'accepter sur leur sol, terre d'Islam, des troupes occidentales composées d'"infidèles".
Il affirme que l'Arabie Saoudite et le Qatar financent et arment les terroristes. La vérité est que l'Arabie Saoudite finance les intégristes religieux et le Qatar les intégristes du PSG, mais en aucun cas les terroristes car ils en sont une des cibles privilégiées.
L'Arabie Saoudite aide les rebelles syriens par opposition à l'Iran, soutien du régime actuel.
Autre inexactitude quand l'auteur affirme que Chypre est "partagée entre les Turcs au Nord, et les Grecs au Sud". Les Chypriotes parlent grec dans le sud de l'île, mais ne sont pas Grecs. Le nord de l'île, où habitent traditionnellement des Chypriotes parlant majoritairement turc, est occupé par l'armée turque qui a fait venir des colons d'Anatolie. La Turquie est le seul pays à reconnaître le nord de Chypre comme pays indépendant. Aux yeux de la communauté internationale, Chypre est donc un pays bilingue, partiellement occupé par une armée étrangère.
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, syrie
29/08/2012
les derniers jours de Stefan Zweig en BD
Les derniers jours de Stefan Zweig (BD)
Adaptation Laurent Seksik
Dessin : Guillaume Sorel
Editions Casterman
Comme toujours quand un roman est adapté en bandes dessinées, ou en film, il n'y a pas tout. Dans ce cas, il y a l'essentiel, rendu de manière éblouissante par les dessins.
Ceux qui n'ont pas lu le livre découvriront l'histoire des derniers mois de la vie de Stefan Zweig, écrivain toujours actuel.
J'ai lu le livre de Laurent Seksik (voir ma note de samedi dernier), et j'ai beaucoup aimé la BD.
Le roman et la BD m'ont donné envie de lire et relire Zweig.
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bd
26/08/2012
"commissaire aux morts étranges"
Casanova et la femme sans visage
Olivier Barde-Cabuçon
Editions Actes sud, collection Actes noirs
Paris, 1757
Quatre ans avant que l’excellent Nicolas Le Floch ne quitte sa Bretagne natale, le jeune Volnay sauve Louis XIV qui, en reconnaissance, le fait chevalier et le nomme « commissaire aux morts étranges », sous la responsabilité de Sartine, bien entendu.
Une femme a été tuée, et son visage a totalement disparu ! Le roi, la favorite, Madame de Pompadour, mais aussi le parti dévot, ainsi qu’une mystérieuse confrérie qui veut voir disparaître la monarchie en la discréditant, cherchent à récupérer une lettre dont la morte devait être porteuse.
Le commissaire est assisté d’un moine plus mystérieux que religieux. Il est accompagné, quasiment en permanence, d’une ravissante marquise italienne, qui travaille pour la favorite, et du célèbre Casanova, qui n’hésite pas à payer de sa personne pour enquêter dans les petites maisons du fameux « parc aux cerfs ».
Le Roi n’est pas à son avantage : « indifférent à tout », « rempli d’un vide effrayant », « l’état de dépravation du monarque semblait sans limites » ; « roi de droit divin, l’enfer étant réservé aux autres ».
L’auteur rappelle, justement, le rôle de Madame de Pompadour pour protéger les encyclopédistes contre le parti dévot. C’est la première fois que je lis qu’elle aurait été une des première responsable de la Franc-maçonnerie, tout juste arrivée d’Angleterre. Surprenant quand on connait la misogynie des premières loges. Mais rien n’est dit sur l’appartenance, avérée, de Sartine à cette organisation.
« La demeure de Volnay n’avait de raison d’être et de cohérence que par rapport aux livres »
« Le seul sens de la vie de cette noblesse clinquante était la jouissance rapide et l’assouvissement de ses désirs immédiats »
« Pour séduire les grands de ce monde il y a deux choses nécessaires : être toujours d’accord avec eux, et garder une part raisonnable de mystère ».
« Le pinceau d’un peintre est toujours tendu en érection dans la direction de ses modèles »
« La ruse honnête n’est autre chose que la prudence de l’esprit »
« On ne sait point aimer quand on sait dire adieu » (Crébillon fils)
08:37 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature
25/08/2012
Le désespoir de Stefan Zweig
Les derniers jours de Stefan Zweig
Laurent Seksik
Editions Flammarion
Février 1942, Petrópolis, Brésil
D'un naturel pessimiste, Stefan Zweig a quitté l'Autriche quatre ans avant l'anschluss et l'arrivée des nazis allemands.
"Il ne revendiquait pas d'être juif, il ne croyait en aucun dieu, il ignorait la moindre prière juive, il condamnait le sionisme. N'avait-il pas assez payé pour une identité dans laquelle il ne se reconnaissait pas ?"
"Il portait cette idée, difficilement défendable, que ce n'était pas aux Juifs de lutter contre l'antisémitisme".
"Il n'avait jamais délivré de message. On le lui avait suffisamment reproché. Ce n'était pas un écrivain engagé."
Ecrivain mondialement connu, ayant vendu soixante millions de livres traduits en trente langues, exilé d'abord en Angleterre, il quitte ce pays pour les Etats-Unis après avoir été déclaré "étranger suspect", simplement parce qu'Autrichien, après la déclaration de guerre.
Son périple se poursuit au Brésil, dans une ville de moyenne altitude, meilleure pour la santé de sa jeune épouse victime de crises d'asthme, (trente ans de moins que ce sexagénaire qui "se sentait devenir vieux"). Petrópolis a été fondé par l'empereur Pedro pour sa femme, une Habsbourg, faisant venir des colons de Rhénanie.
Mais là encore il ne connait pas la tranquillité : les nazis locaux le menacent de mort.
Il écrit une forme d'autobiographie, intitulée parfois "Monde d'autrefois", parfois "Souvenirs d'un Européen", reflet d'une "Europe cosmopolite, insouciante, créative".
"Ecrire sur Montaigne, comprendre comment garder son humanité intacte au milieu de la barbarie". "La nuit de cristal, c'est notre Saint-Barthélemy".
"Il fallait à soixante ans des forces exceptionnelles pour tout recommencer à nouveau".
Quand Singapour, "dernier rempart de la civilisation" s'est rendu aux Japonais, il est persuadé que la guerre est perdue pour les démocraties, et, désespéré, choisit la mort, comme tant de ses amis avant lui, entraînant avec lui Lotte, éprise jusqu'au sacrifice ultime. Dans son essai sur Kleist, qui avait tué son épouse avant de se suicider, n'avait-il pas écrit que "sa mort était un chef-d'œuvre" ?
"A l'aube des tragédies du passé, il parvenait à augurer des drames en devenir".
"Jamais on aime plus sincèrement la vie qu'à l'ombre du renoncement".
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature
23/08/2012
C'est grâce aux hommes que la terre est belle
Géographie amoureuse du monde
Sylvie Brunel
Editions J.C. Lattès
Jamais je n'aurais pensé prendre tant de plaisir à la lecture d'un livre de géographie.
Je connaissais Sylvie Brunel par ses livres dénonçant le buisines humanitaire, elle qui avait longtemps été responsable de "Médecins sans frontières" puis d'"Action contre la faim".
Difficile d'ignorer qu'elle avait été l'épouse, et la mère des enfants, d'un socialiste passé chez Sarkozy.
Elle est aujourd'hui professeur à la Sorbonne (développement durable), après l'avoir été à Montpellier (géographie du développement ; j'ai épluché son livre consacré à l'Afrique, et j'en ai parlé sur ce blog).
C'est peut-être pour cela qu'elle commence ce livre en parlant de la Camargue ("Si la Camargue existe, c'est pour racheter Fos et La Grande Motte").
"La réinvention de la Camargue n'a pu réussir que parce que les citadins étaient avides de cultiver cet imaginaire". "La Camargue vend d'abord et avant tout du mythe parce qu'elle est d'abord et avant tout un mythe". "Il s'agit de vendre un espace présenté comme inviolé...tout en mettant en place les conditions nécessaires à l'accueil de milliers de personnes".
Sa démonstration est simple : non seulement l'Homme ne détruit pas la planète, mais il l'a rendu, et la rend, habitable.
A rebours de la thèse habituelle, sa démonstration passe par l'île de Pâques. Contrairement à ce que j'ai entendu cet été à la télévision dans une émission didactique, ce ne sont pas les Pascuans qui ont rendu leur île invivable en la déboisant, mais une longue période de sécheresse suivie d'expéditions esclavagistes (péruviennes) ponctionnant la moitié de la population et introduisant sur l'île des maladies comme la tuberculose. Les Européens ont fini de dévaster le fragile écosystème en introduisant lapins et ovins.
Sylvie Brunel ne nie pas les problèmes : "il nous faut sans répit trouver des solutions collectives aux dysfonctionnements du monde". "L'histoire de l'humanité est celle d'une âpre lutte pour la survie". "Il n'existe pas de terre maudite. Juste des hommes qui décident ou non, de se donner une chance de vivre mieux, ensemble sur la même planète". "Education, innovation, anticipation" sont les trois piliers qu'elle préconise, en prenant pour exemple Abou Dhabi ("le père de la gazelle") qui l'a manifestement fascinée, mais dont je ne connais malheureusement que l'aéroport...
Revenant de Samoa, j'ai lu avec un intérêt particulier le chapitre consacré à "la douceur et violence des îles tropicales". "L'île à cocotiers est un des produits phares de l'industrie touristique". "Les touristes croient "naturel" ce qui est en réalité le produit d'une opération volontariste de revégétalisation". La réalité est surtout faite, pour les habitants, "d'épouvantables cyclones", "violence du climat et manque de ressources". "L'isolement et l'éloignement rendent difficiles et coûteuses les activités économiques. Le marché intérieur est trop limité pour le rentabiliser".
Ressources : vendre des droits de pêche de leurs immenses Zone Economique Exclusive, vendre leurs noms de domaine Internet, vendre des pavillons de complaisance, devenir des paradis fiscaux "off shore". Les aides liées au changement climatique ont remplacé les aides coloniales puis néocoloniales. "Accuser les pays riches d'impéritie a toujours été une stratégie payante pour leur extorquer des fonds, seul change l'alibi : le climat a désormais remplacé l'impérialisme". "Les migrations séculaires, autrefois dues à la pauvreté, aujourd'hui imputées au climat". "Il existe entre les visiteurs et les visités un grand malentendu : les premiers viennent chercher ce que les seconds sont soulagés d'abandonner".
"Il n'y a jamais de fatalité, ni du milieu, ni des hommes. Les choix politiques et économiques déterminent l'avenir d'une nation". Sylvie Brunet donne l'exemple du Sertao, le Nord-est brésilien, semi-aride, "transformé en moins de deux décennies en un pôle de développement majeur". "La bonne gouvernance, même si ceux qui emploient cette expression y mettent une dose excessive de libéralisme : le marché et les opportunités de la mondialisation ne peuvent pas développer durablement un pays sans une vraie politique d'équité et de redistribution. L'Etat doit mener une lutte permanente contre les inégalités, porteuses de conflits sociaux". Elle salue les mesures exemplaires du Président Lula dans ce domaine, donnant un revenu minimum aux plus pauvres.
Concernant l'Afrique, "continent riche peuplé de pauvres", et ses "démocratures" ("dictatures de fait revêtues des habits d'une démocratie tronquée"), "le consensus de Pékin -mieux vaut la croissance que la démocratie- a supplanté le défunt consensus de Washington". "Tout processus de croissance économique rapide creuse les inégalités lorsque la redistribution sociale n'est pas au rendez-vous". "Incorrigibles, les Occidentaux continuent de croire qu'ils savent mieux que les Africains ce qui est bon pour l'Afrique".
Comme dans son livre sur l'Afrique, Sylvie Brunel termine par l'éloge du travail des paysans. "Cette nature que les citadins aiment tant est le produit de sociétés paysannes".
08:57 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)