25/12/2007
Les enfants des limbes
Les enfants des limbes
Morts nés et parents dans l'Europe chrétienne
Jacques Gélis
Editions Audibert
Quelle période plus appropriée que celle de Noël pour parler de naissance ?
Mais aussi de ce drame si fréquent encore aujourd ' hui dans le monde, et qui se déroulait si fréquemment, même en Europe, il y a peu : l ' enfant mort à la naissance ?
A ce drame, l ' Eglise catholique y ajoutait un autre, plus terrifiant encore, puisqu ' il concernait la vie éternelle : l ' enfant mort avant d ' être baptisé était condamné à errer éternellement dans les "limbes". "Son âme était vouée aux souffrances éternelles, puisqu ' elle était privée de la vision de Dieu". Surtout à partir du Concile de Trente, en 1547, qui déclare : "les enfants n ' ont aucun autre moyen de salut que le baptême", en se basant sur Saint Jean : "Personne, à moins de naître de l ' eau et de l ' Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu". L ' enfant n ' avait pas le droit d ' être enterré en terre consacrée, avec les autres chrétiens, avec sa famille. "Seuls les enfants baptisés figurent sur le registre paroissial". Ce n ' est que depuis 2002 que les enfants morts à la naissance peuvent être inscrits sur le livret de famille, marquant "la volonté d ' inscrire le fruit du couple, même s ' il n ' a pas vécu, dans une lignée".
"La simultanéité d ' une vie attendue et de la mort advenue plonge les parents dans l ' intolérable et l ' impensable". La culpabilisation n ' est jamais loin.
"On se résignait à la mort physique, mais non à la mort spirituelle".
"Dans une société de plus en plus fortement encadrée par la religion", désespérés, les parents, aidés de toute la famille, priaient alors Dieu, généralement en demandant l ' intercession d ' un(e) Saint(e) ou de la Vierge, elle qui avait enfanté. Ils exposaient l ' enfant dans un sanctuaire, pour demander sa résurrection, juste le temps d ' un "répit", qu ' il puisse être baptisé et lavé du péché originel.
Ce rite avait également l ' avantage d ' aider les parents à "faire leur deuil" de l ' enfant attendu et disparu dès sa venue au monde. "Faire pèlerinage, c ' est également faire pénitence".
La "ligne de crête" entre la vie et la mort a longtemps été incertaine, "dans une société où les frontières entre ce qui est de l ' ordre de la nature et ce qui relève du surnaturel sont souvent floues".
Tout cela se déroulait essentiellement dans le contexte particulier des XVIIe et XVIIIe siècles (même si on signale le premier cas dès le XIIe siècle...et les derniers au début du XXe siècle) : le protestantisme qui dénonçait les superstitions, s ' appuyait sur la parole du Christ : "Laissez venir à moi les petits enfants, le Royaume des Cieux leur appartient", considérait qu ' il appartenait à la volonté divine de décider du salut éternel, face à la "contre réforme" catholique qui voulait montrer la supériorité de la "vraie foi", "afin que nul n ' ignore ce que Dieu peut réaliser", en soulignant le rôle miraculeux de la Vierge. "Les miracles sont au centre de la reconquête catholique".
"Conceptions différentes de la manière d ' être au monde et autre relation à Dieu".
Les "sanctuaires à répit" se multiplient à la lisière des pays gagnés au protestantisme.
"Malheureusement, l ' exposition et le répit sont devenus des pratiques lucratives", allant à l ' encontre des saintes preuves qu ' elles devaient apporter, entraînant leur interdiction à la fin du XVIIIe siècle.
Jacques Gélis, avec qui j ' ai milité au début des années 70, et qui a bien voulu faire de moi un ami, est un spécialiste de l ' histoire de la naissance, auteur de "L ' arbre et le fruit, histoire de la naissance dans l ' Occident moderne". Il s ' est livré à une véritable enquête historique qui montre comment des générations de parents ont fait face à la douleur de la perte de leur enfant.
Cet été, un entrefilet du journal Le Monde nous a appris que le Vatican avait décidé que les "limbes" n ' existaient pas. Avant de devenir Pape, le cardinal Ratzinger avait déclaré : "les limbes n ' ont jamais été une vérité de foi". Depuis le milieu du XIXe siècle, l ' Eglise ne s ' opposait plus à l ' inhumation chrétienne des enfants morts sans baptême.
Tous ces parents se sont inquiétés pour rien du salut éternel de l ' âme de leur enfant mort à la naissance, tous ces enfants ont été temporairement "ressuscités" pour rien...
Mais "le rituel devant la Vierge miraculeuse constituait un exutoire psychique. Quel est aujourd ' hui le rite qui apaise ?" On pense à la phrase de Marx : "la religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, elle est le cœur d ' un monde sans cœur..."
"Devenue rare, la mort périnatale apparaît de plus en plus inacceptable". "Le travail de deuil ne peut s ' apaiser que lorsqu ' un sens est donné à la perte".
"L ' enfant mort né tend à l ' homme un miroir. Cet être au destin brutalement interrompu interpelle chacun sur ce qu ' est l ' espace d ' une vie, sur ce qu ' est la vie."
08:40 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
23/12/2007
Réglez lui son compte (San-Antonio)
Réglez lui son compte
San-Antonio
Editions Fleuve noir
Les éditions "fleuve noir" qui ont bercé mon adolescence, ont eu l'excellente idée de republier le premier San-Antonio, écrit par Frédéric Dard en 1949, qui se trouve être l'année de ma naissance (pas de commentaires, merci).
Les voitures roulent, quand elles sont "poussées à fond", à la vitesse hallucinante de 120km/heure, en particulier la "traction avant" du célèbre commissaire !
C'est l'après guerre, et les tickets de rationnement ne sont pas loin dans la mémoire collective.
Les mœurs sont retenues : prendre la main de sa voisine est d'une audace folle, on fantasme sur des "baisers mouillés", dans le cou, et le reste n'est envisagé que dans le cadre du mariage.
San-Antonio a alors 38 ans, âge qu'il conservera tout au long des 175 romans consacrés à ses aventures, écrits par le père, et sur la fin par le fils.
Dans la vie réelle, s'il avait continué à fumer et surtout à boire comme dans ce premier roman, il aurait fait une mauvaise fin...
Probablement qu'à l'époque, il était obligatoire de fumer et de boire comme un alcoolique pour être un homme, un vrai...
Il n'a pas encore de comparses, pas de Béru, pas de Pinuche et il se met dans des situations indignes du coefficient intellectuel qu'il s'attribue, mais c'est pour mieux s'en sortir avec brio.
Les femmes sont des séductrices qu'il séduit, car, bien entendu il est irrésistible avec les femmes, comme face aux criminels les plus endurcis (comme Bob Morane !).
Ce sont toutes des traitresses, sauf une, sans compter sans maman. Elle a toutes les qualités, encore plus que sa maman...
Comme souvent dans les San-Antonio, l'intrigue est secondaire, seule compte l'action...et la verve !
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1)
15/12/2007
Bob Morane...et Henri Vernes vivent encore !
Bob Morane
Henri Vernes
Editions Le Lombard
Henri Vernes (rien à voir avec Jules), qui a dépassé les 80 ans, a eu droit récemment à la pleine dernière page de Libération.
J'ai alors réalisé que l'aîné de mes petits enfants a maintenant l'âge que j'avais quand je lisais, au début des années 60, les aventures du "commandant" Bob Morane, éditées par Marabout, en petit format, sur un papier de qualité médiocre.
Auteur prolixe et imaginatif, Henri Vernes a aujourd'hui 200 romans d'aventures de Bob Morane à son actif. Une soixantaine a été adaptée, sous la responsabilité directe de l'auteur, en Bandes dessinées, par Coria, dont le trait est précis et les couleurs irréprochables, dans la grande tradition de la BD belge, et éditée, en grand format, avec du papier et une reliure de qualité, par Le Lombard.
L'époque étant à la nostalgie, j'ai profité des fêtes de fin d'année pour y jeter un œil, avant que l'album ne se retrouve au pied du sapin, sous la chaussure de l'heureux destinataire.
Le héros est toujours irrésistible, en particulier avec les femmes qui sont d'une beauté fatale, alliées et/ou traitresses en puissance. Il se met dans des situations impossibles dont il se sort, plus conquérant que jamais. De quoi faire rêver les adolescents...
Malgré les nombreux "clichés", j'avoue avoir trouvé un certain plaisir (adolescent ?) à la lecture de l'album "Le Président ne mourra pas" qui raconte l'histoire d'un complot pour tuer le Président des Etats-Unis. Complot qui échouera grâce à l'action de Bob Morane, of course ! Si la route des Kennedy avait croisée celle de Bob Morane...
08:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
08/12/2007
Itinéraire d'un salaud ordinaire
Itinéraire d'un salaud ordinaire
Didier Daeninckx
Editions Gallimard
Didier Daeninckx s'est fait connaître par ses romans policiers, très engagés politiquement, à gauche. Il a obtenu le "Grand prix de la littérature policière", et le prix "Paul Vaillant-Couturier", en 1984, pour "Meurtres pour mémoire" (Série noire n°1945 et Folio policier n°15). Il est proche du Parti Communiste et le fait savoir. Pour engagés qu'ils soient ses romans n'en sont pas moins agréables à lire.
Cet "Itinéraire d'un salaud ordinaire" est le déroulement de la carrière brillante d'un fonctionnaire de police "apolitique" (donc de Droite), de qualité, au service de sa hiérarchie et des pouvoirs successifs (jusqu'en 1981 !).
Embauché en 1942, il est donc d'abord au service du régime de collaboration avec l'occupant, y compris pour rafler les juifs et les rassembler au "Vel d'hiv", quand "de paisibles policiers français se sont mués en remarquables chasseurs de gibier humain, avec l'aide du zèle dénonciateur d'une frange de la population".
Spécialiste de la lutte anti-communiste, ses compétences sont appréciées dès que la "guerre froide" commence.
Puis en 1968 contre les gauchistes. Toujours au service d'un vaste ensemble répressif.
Les techniques de manipulation policières sont décrites, en particulier les chantages (sexe, argent, drogue, par ordre d'importance, avec des passerelles de l'un(e) à l'autre).
Selon l'auteur, l'assassinat de Jacques Mesrine a été organisé pour détourner l'attention du public un peu trop intéressé par les meurtres des ministres ou anciens ministres Boulin, De Broglie, Fontanet.
Impossible de ne pas penser à l'itinéraire de Maurice Papon, fonctionnaire irréprochable dans l'accomplissement des tâches qui lui étaient confiées. Il sera même ministre. Et René Bousquet, Secrétaire général de la Préfecture de police pendant la guerre. Les deux apparaissent dans le livre.
Petit détail historique : contrairement à ce que dit l'auteur, l'université de Vincennes n'a joué aucun rôle en mai 68, pour une raison simple : elle n'a été créée qu'après, par Edgar Faure, à l'automne suivant, dans des locaux provisoires (elle est aujourd'hui à Saint Denis), comme réaction à ces "évènements", pour sortir du mandarinat universitaire. Je sais : j'y étais : c'était la seule université qui favorisait la vie des étudiants salariés.
08:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
02/12/2007
John Le Carré de nouveau en Afrique
Le chant de la mission
De John Le Carré
Editions du Seuil
Après "La patience du jardinier", John Le Carré revient en Afrique. Après avoir dénoncé, sous forme de roman d'amour, les expérimentations pharmaceutiques sur les populations africaines (n'hésitez pas à louer le DVD pour voir le film tiré du roman), il évoque, fort bien, le pillage des richesses par des "Occidentaux", sous forme d'un roman d'aventures, qui s'apparente à ses romans d'espionnage.
Il a reçu la documentation de l'"International crisis group", bien connu dans les milieux spécialisés pour le sérieux de ses études.
Le lecteur ressort de ce livre dégoûté par les élites politico-financières européennes, américaines et africaines qui pillent, sans vergogne, les matières premières d'un pays, au prix de la misère de la population, au prix de guerres qui n'ont de "civiles" que les victimes. Cela se passe dans l'Est du Congo, c'est donc de pleine actualité (voir mon billet sur le drame humanitaire dans cette région), malheureusement cela pourrait se passer dans d'autres pays...
Le seul bémol, c'est que l'on se demande comment le héros, tellement intelligent, peut être aussi naïf.
Citations tirées du livre :
" La couronne est toujours échue à son voisin parce que lui n'était pas assez féroce, pas assez corrompu, pas assez fourbe".
"Nous sommes fiers de notre négritude, mais tous les camelots de la ville vendent du produit de blanchiment garanti cancérigène"
"Les élections n'apporteront pas de solution, mais ce sont nos élections à nous !"
07:55 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1)